«Le danger dans une démocratie naissante comme la nôtre est d'arriver aux prochaines élections sans les instances constitutionnelles et sans une cour constitutionnelle». Dès le début de la conférence de presse organisée hier par Al Bawsala dédiée à la présentation de son rapport annuel sur les travaux de l'ARP, le ton est donné par Nesrine Jelailia, directrice exécutive de l'ONG. Elle estime que cette session sera la «dernière occasion» pour les élus d'honorer leurs engagements et leurs promesses. Sur les cinq instances prévues par la Constitution tunisienne, seule l'instance des élections a été mise en place. L'association Al-Bawsala note avec inquiétude la lenteur de la mise en œuvre du texte constitutionnel, qui était pourtant l'une des priorités du quinquennat. Le projet de loi relatif à l'Instance de la communication audiovisuelle piétine en raison d'une forte opposition notamment de la Haica, qui souhaite une révision du projet de loi porté par l'ex-ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, Mehdi Ben Gharbia. Quant à l'instance de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le projet de loi a bien été voté, mais il reste aux élus la lourde tâche (souvent compliquée) d'élire ses membres. L'instance des droits de l'Homme, elle, tarde à être mise en place. Le projet de loi qui la créera a d'ores et déjà été entamé en plénière, mais sa discussion a été interrompue. Et enfin, l'instance de développement durable et de la protection des droits des générations futures dont le projet devrait bientôt être discuté au sein de la commission de l'organisation de l'administration et des affaires des forces armées. Une lenteur qualifiée par Mehdi Elleuch, analyste juridique chez Al-Bawsala de «manque de sérieux». Par ailleurs, Lamine Ben Ghazi estime que l'incapacité des députés à élire le reste des membres de la Cour constitutionnelle (3 membres), n'est pas forcément liée à la difficulté de réunir les deux tiers des votes nécessaires. Pression politique «Il faut rappeler qu'il y avait eu à un certain moment un consensus autour des membres à élire, et tout était écrit dans un P.-V. signé, mais finalement les élus n'ont pas respecté l'accord. En fait, le vrai problème est celui de la pression politique que subissent les députés et qui vient souvent des partis politique», commente Lamine Ben Ghazi, chef de projet Marsed Majless (Bawsala). Pour sa part, Manel Derbali, chef du groupe d'observateurs d'Al-Bawsala au Parlement, a mis l'accent sur la qualité du travail parlementaire. Elle explique notamment que sur les 52 initiatives législatives adoptées au cours de la quatrième session parlementaire, 22 concernaient des accords de prêt. D'un autre côté, Manel Derbali a signalé la frilosité des députés quand il s'agit de présenter des propositions de loi. Sur 52 initiatives législatives déposées pendant la quatrième session, seule une dizaine était des propositions des députés. Généralement, les élus attendent et discutent les projets de loi présentés par le gouvernement. «Il a cependant salué l'adoption de la loi sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui n'est autre qu'une proposition de loi ayant émané des députés», note Manel Derbali. Absence de vision législative L'organisation Al Bawsala a aussi pointé du doigt ce qu'elle estime être une «absence de vision législative». En effet, selon Manel Derbali, il n'existe aucune logique à la manière dont les projets de loi sont discutés. «Souvent on se demande pourquoi tel projet est discuté et pas un autre?» «Il ne s'agit pas seulement de projet sans grande importance, explique Manel Derbali. A titre d'exemple, le Code des collectivités locales a été déposé lors de la troisième session, sa discussion a traîné en longueur, pour que finalement les députés arrivent à voter 300 articles en seulement 3 mois». L'organisation soulève aussi le récurrent problème de l'absentéisme des députés, faisant même dire au chef du projet Marsad Majles, Lamine Ben Ghazi, que la présence de 217 députés à l'hémicycle lors du vote aurait pu permettre, malgré tout, l'élection des trois membres de la Cour constitutionnelle. Al-Bawsala a demandé au Parlement l'accès aux informations relatives aux ponctions faites sur les indemnités des députés absents, et a finalement reçu un document confus faisant état d'un montant de 81.740,867 millimes. Un chiffre qui a finalement induit l'organisation en erreur puisqu'il avait été interprété comme étant 81 dinars, alors que certains cadres de l'administration de l'ARP ont finalement expliqué qu'il s'agissait de 81 000 dinars.