Le phénomène du «nomadisme parlementaire» a commencé pendant le règne de la Troïka. Cependant, si le scrutin se fait sur les listes, le législateur ne fait mention d'aucune interdiction ou une quelconque restriction des mouvements des députés, une fois élus. Ils peuvent démissionner de leurs blocs, de leurs partis ou changer de bloc parlementaire ou encore rester indépendants. Le tout, en gardant le statut de député, et bien évidemment ses émoluments Le phénomène du «nomadisme parlementaire» avait déjà commencé pendant le règne de la troïka. En ce temps là, c'est le groupe Al-Aridha Al-Chaâbia de Hachemi Hamdi qui en avait fait les frais et avait à l'époque perdu beaucoup de ses élus qui avaient déserté pour rejoindre d'autres blocs offrant pour eux un horizon politique plus pérenne. Des voix s'étaient d'ailleurs élevées pour dénoncer la valse des députés élus sur un programme, au nom d'un parti ou d'une coalition et non pas en leurs noms propres. En effet, le mode de scrutin actuel relègue les personnes au second plan et privilégie un système de liste. L'électeur ne vote donc pas pour une personne, mais bien pour un parti ou une coalition. Ainsi, peu d'électeurs connaissent vraiment les compétences ou les orientations politiques de Jalel Ghedira, Sofiene Toubel ou encore Abderraouf Chebbi, mais ils ont été séduits, soit par le programme, soit par la communication politique entreprise par le parti dont il est membre. Cependant, si le scrutin se fait sur les listes, le législateur ne fait mention d'aucune interdiction ou une quelconque restriction des mouvements des députés, une fois élus. Ils peuvent démissionner de leurs blocs, de leurs partis, ou peuvent changer de bloc parlementaire ou encore rester indépendants. Le tout, en gardant le statut de député, et bien évidemment ses émoluments. Le règlement intérieur reste également muet sur cette question. La seule règle à respecter est de se constituer en groupe de huit députés pour pouvoir créer un bloc. Maturité politique, le grand absent A l'époque de la Troïka, les chroniqueurs politiques avaient conclu que ces mouvements étaient le fruit d'un manque de maturité politique, vu le jeune âge de la démocratie à la sauce tunisienne. On nous avait affirmé que les élections législatives de 2014 allaient porter à l'hémicycle une meilleure "récolte", une élite qui a les pieds sur terre et les yeux rivés vers un avenir radieux pour la Tunisie. Quatre ans plus tard, la maturité politique est toujours comme l'Arlésienne d'Alphonse Daudet, tout le monde en parle, mais personne ne l'a encore jamais vue. Désormais, nous pouvons dire, sans en rougir, que les résultats des élections législatives de 2014 ont été piétinés et traînés dans la boue argileuse des ambitions personnelles douteuses et des intérêts peu glorieux. Le parti victorieux des dernières élections législatives démocratiques s'est disloqué et a perdu une grande partie de ses élus. A l'image du monde footbalistique, l'ONG Al-Bawsala qui suit les travaux de l'ARP a qualifié le phénomène de «Mercato». L'ONG a même créé une page internet dédiée aux principaux transferts ou flux migratoires, depuis le début du mandat jusqu'à la clôture de la quatrième session parlementaire. Ainsi on y remarque qu'en seulement quatre ans le parti Nida Tounès a perdu près de la moitié de ses élus (ils étaient 86, ils ne sont plus que 56 officiellement et 48 lorsque les dernières démissions seront effectives). L'un des comportements les plus étranges est sans aucun doute celui des "petits élus", ces députés totalement inconnus dont on ne se souvient pas qu'ils ont contribué de manière significative dans le débat politique ou législatif. Samah Bouhawal, illustre inconnue, n'a pas hésité à faire une danse politique inédite. Elle avait quitté Nida Tounès pour rejoindre le groupe Al-Horra. Quelque temps plus tard, elle décide de faire le mouvement inverse et de revenir vers Nida Tounès. Bien évidemment, ni aux médias, ni aux électeurs de sa circonscription elle n'a expliqué les motivations de sa volte-face politique. D'autres élus ont également quitté Nida Tounès pour partir vers Al-Horra, avant de quitter cette dernière et rejoindre le nouveau bloc parlementaire. Chez les peuples nomades, c'est la recherche de nourriture et de pâturage qui motive les déplacements de terre en terre. La question qui se pose est la suivante: que recherchent vraiment les élus nomades ? Un coup pour le travail législatif "Certains députés peu ou pas connus, avec des taux de présence et de participation au vote et aux débats généraux assez faibles, usent et abusent de cette mobilité politico-parlementaire en vue de se chercher une identité politique, un nouveau positionnement, confirme Manel Derbali de l'association Al-Bawsala. Souvent, ils se sentent un peu marginalisés dans leurs blocs originaux et n'ont pas forcément le « sentiment d'appartenance «au parti/ bloc, ils cherchent à avoir un avenir politique et pensent déjà au prochain mandat». Bien évidemment, les députés ne sont pas tous des opportunistes sans vergognes, certains, mus par leurs convictions politiques profondes, refusent de jouer le jeu de la compromission. Dans certains cas, des députés comme Karim Helali (Afek Tounes), Nedhir Ben Ammou (Ennahdha), Leïla Chettaoui (Nida Tounès) ou Sahbi Ben Fraj (Nidaa Tounes puis Al-Horra) ont refusé de devenir de simples pantins à l'Assemblée, à qui on demande d'appliquer des décisions prises de manière unilatérale par la direction de leurs partis. Pour Manel Derbali pourtant, membre de l'association Al-Bawsala, il ne s'agit nullement de stigmatiser les députés qui changent de camp, mais l'impact de ces va-et -vient sur l'efficacité du travail législatif. "Lorsqu'en 2015, Nidaa Tounes a commencé à se fissurer, nous avions tout de suite constaté que la cadence du travail parlementaire a baissé de manière significative", nous explique-t-elle. Plus qu'une seule session parlementaire dans la vie de ce mandat de cinq ans et les projets de loi s'accumulent et la Cour constitutionnelle n'a pas encore vu le jour. Pendant ce temps-là, pour les politiques, un seul enjeu les préoccupe : les élections de 2019. L'instance politique de Nida Tounès en conclave Au moment où nous mettions sous presse, l'instance politique de Nida Tounès tenait une réunion décisive pour statuer sur le sort du chef du gouvernement Youssef Chahed. 12 membres de l'instance ont répondu présent mais il semblerait que jusqu'au moment où nous rédigions ces lignes, la ministre du Tourisme Salma Elloumi n'avait pas encore rejoint la réunion. Une absence lors d'une réunion aussi importante pourrait être interprétée comme un nouveau revers pour le directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebssi. Rappelons que le responsable de la communication de Nida Tounès, Mongi Harbaoui, avait déclaré que le parti réfléchissait à l'exclusion de Youssef Chahed de Nidaa Tounes.