Comment expliquer ce retour inexpliqué du bonhomme rouge que seuls quelques flocons de coton dans les vitrines rappelaient à nos souvenirs jusqu'à l'an passé ? Probablement par le besoin viscéral de faire la fête et de cueillir un peu de bonheur là où il est encore accessible. Mais que s'est-il donc passé cette année pour que le père Noël, ce gros bonhomme rouge que l'on avait depuis longtemps rangé dans la catégorie «enfants», et encore, les gamins délurés par Internet n'y croient plus, reprenne du poil de la bête ? Et fasse carrément de l'ombre au traditionnel réveillon de fin d'année qui, jusque-là, tenait le haut du pavé ? Marchés de Noël à tous les coins de rue, menus spéciaux, bûches à tous les parfums imaginables, on parle même de concours de bûches, débauches de foie gras, spécialité que les Tunisiens ont su conquérir. Sans parler des arbres de Noël que l'on décline à l'envi sur tous les réseaux sociaux. Le plus original, certainement, composé de raquettes de cactus, avait, ma foi, belle allure. Partout, dans la bonne ville de Tunis, mais ailleurs aussi, à Hammamet, à Sousse, à Tozeur, on affichait des couleurs rouges et vertes, des couronnes de houx, des guirlandes de pommes de pin, des boules irisées. Et pas du tout pour les touristes. C'était à qui dresserait la plus jolie table, composerait le menu le plus alléchant, réunirait le plus d'amis, dégusterait la meilleure bûche. Depuis le début du mois, les boutiques, concept stores, galeries, restaurants, Be Tounsi, avaient chauffé l'ambiance. Marchés de Noël, ventes de Noël, expositions de Noël, bazars de Noël battaient le rappel. On y présentait des jouets peut-être, mais aussi des vêtements, des accessoires, des bijoux, des douceurs, tout ce qui se vend et s'achète. Et le plus extraordinaire, c'est que les gens s'y pressaient, accumulaient les paquets et faisaient poser leurs enfants sur les genoux d'un père Noël, sous un sapin, devant des guirlandes. «Histoires de riches», pourra-t-on dire en faisant la moue. Non, les riches étaient ailleurs, dans la neige ou dans les dunes de sable, sur des bateaux dans des îles sous le vent, ou dans des fjords. Non, c'était une joyeuse classe moyenne qui se pressait là, qui évaluait à voix basse lequel des deux conjoints donnerait un chèque qui ne risquait pas d'être rejeté, qui négociait avec les commerçants un paiement échelonné. «Opération purement commerciale», pourrait-on ajouter. Sûrement, mais toutes les opérations commerciales ont rarement autant d'impact, et provoquent difficilement autant de joie. Alors quoi ? Comment expliquer ce retour inexpliqué du bonhomme rouge que seuls quelques flocons de coton dans les vitrines rappelaient à nos souvenirs jusqu'à l'an passé ? Par la morosité ambiante ? Par l'inquiétude latente ? Par le besoin viscéral de faire la fête, de cueillir un peu de bonheur là où il est encore accessible ? Par un désir irrépressible de rêve, de poésie, le temps, d'une évasion ? Peu importe, dirons-nous, l'essentiel étant de participer. Alors merci Sidi Noël.