A quelques mois de la présidentielle et des législatives 2019, certains partis politiques ont bel et bien commencé à affûter leurs armes, lançant leur campagne électorale prématurément. Les craintes de retomber, de nouveau, dans le piège des voix achetées ou détournées ont accru la méfiance et fait appel à la vigilance des médias et de la société civile. Certes, tous les deux ont un rôle important dans la réussite des élections. Dans cet ordre d'idées, la conférence qu'avait organisée le Centre d'étude sur l'islam et la démocratie (Csid) a eu pour thème : «Rôle des médias dans la paix sociale et la réussite des élections». «Ce rôle est important dans la mesure où de tels rendez-vous marquent une couverture médiatique dans les normes déontologiques », juge, d'emblée, le président du Csid, M. Radhouane Masmoudi. D'après lui, nous sommes face à des médias qui posent des problèmes plutôt que de présenter des solutions. Au point que, soulève-t-il, à peine 14% de nos jeunes en âge de voter ont, jusqu'ici, participé aux élections précédentes. Déçus, ils n'ont pas trouvé leur compte dans les médias. Comment garantir l'indépendance et l'impartialité des médias ? Pour Lotfi Hajji, journaliste à « Al Jazira », les médias, tout comme la justice et la sécurité, sont un des piliers de la transition démocratique dans le pays. Toutefois, ce « quatrième pouvoir » continue à s'attirer les foudres des Tunisiens, d'autant qu'il n'est plus maître de lui-même. Jamais nos médias n'ont été aussi pointés du doigt. Pour qui travaillent-ils? Sous quelle pression gèrent-ils l'information ? Et quels sont les lobbies qui les financent ? « Autant des questions que l'on se pose plus souvent, notamment en période d'élections, mais sans y apporter de réponse», s'interroge le journaliste. Instrumentalisation de l'information Brossant ainsi le tableau, sur fond de lecture critique, M. Hajji a donné l'exemple des chaînes de télévision privées jugées d'après lui « hors-la-loi », où l'argent et la politique s'associent pour servir des intérêts communs. D'ailleurs, accuse-t-il, ce sont des chaînes dont on ne sait même pas à qui elles appartiennent ? Des médias, à vrai dire, incontrôlables que l'on peut facilement influencer. Le journaliste d'Al Jazira a parlé de « l'orchestration » de la couverture médiatique, pour se référer à l'instrumentalisation de l'information, dans le but de détourner l'opinion publique. Il a fini par reconnaître l'incapacité des médias à créer une opinion à l'image des attentes et objectifs de la révolution. Les solutions ? Pas évidentes, en tout cas, mais il est temps de mettre en place des mécanismes, tels que les instances de régulation, le conseil de rédaction, le contrôle et l'audimat. Le tout dans la transparence requise. En période de campagne électorale, l'Isie se pose aussi en organisme légal de veille et d'observation de la couverture médiatique sur le plan aussi bien du contenu que des dépassements commis. Son chargé de communication et membre de son conseil, Adel Brinsi s'est attardé sur la neutralité qu'il définit comme « principe déontologique relatif et variable». Il préfère, plutôt, faire usage du mot « objectivité », un critère journalistique très prisé. « C'est ce qu'on cherche à garantir au cours des campagnes pour réussir les prochaines élections », a-t-il souhaité. Mais que faire en dehors des campagnes électorales, étape où l'Isie n'a aucune légitimité de contrôle? D'où, la nécessité, selon lui, de revoir la publicité politique et les sondages d'opinion, en décrétant des lois les organisant. L'éducation aux médias lui paraît aussi de mise. Médias du sensationnel Dans une lecture du paysage médiatique, M. Abdellatif Fourati, journaliste de son état, a fait valoir la liberté de la presse et d'expression comme condition sine qua non pour des élections transparentes et démocratiques. Or a-t-il ajouté, cette liberté ne peut être que responsable et parfois limitée par la loi, quitte à verser dans le sensationnel aux dépens du rationnel. A l'heure des réseaux sociaux, l'on est en droit de douter de la fiabilité de l'information donnée. Quels médias veut-on pour pouvoir identifier le public cible? Qui finance ces médias ? Au-delà, on ne peut jamais parler ni de la paix sociale ni des élections transparentes, a-t-il conclu. Qu'en est-il de la société civile ? « C'est elle la plus proche du citoyen et c'est elle qui est en mesure de contrôler et de réguler», soutient M. Nabil Labbassi, président de « l'Observatoire citoyen des médias », lancé en 2012. Contrairement à M. Brinsi, il a insisté sur la neutralité qui est un principe absolu et nécessaire au bon déroulement des élections. De même, il s'oppose à M. Hajji : « Non, les médias ne créent pas l'opinion publique, ce sont les régimes dictatoriaux qui le font». Les médias ne sont, à ses yeux, que des sources d'information. Il propose, en conclusion, de revoir leur rôle et leur mission.