Leila Sebbar, Emna Belhaj Yahia, Maïssa Bey, Rajae Benchemsi et Cécile Oumhani affichent une solidarité maghrébine singulière, intimement féminine de ce qui est cher aux Maghrébins : une famille unie, une belle maison toute blanche, des repas délicieux… mais aussi de ce qui les torture : les inégalités, les démunis, les mal-lotis, les situations intermédiaires qui sont le lot de la plupart. Un ouvrage à cinq mains, entre la grâce et la frivolité profonde dont seules les femmes sont capables. Vu de l'intérieur par des yeux de femmes, ce Maghreb de toujours étonne, aussi bien par ses diversités que par les innombrables itérations et les ressemblances. En l'évoquant, elles s'en étonnent car nous sommes, ici, devant une découverte pure : ‘'Personne ne t'a jamais parlé de ça. De ce qu'on peut voir à l'intérieur de soi''. Car, ici, on ne parle pas aux femmes… pas vraiment ! Elles sont livrées à elles-mêmes dans ce Maghreb immense qui s'étend de la mer à l'océan et si la majorité prend le pli, quelques-unes, dont les dames qui ont signé cet ouvrage à cinq mains, parviennent à en tirer une infinité d'enseignements, à force d'apprentissage et de méditation. Un oiseau aux ailes déployées En deux dimensions essentielles, les cinq morceaux s'arrêtent avant tout à toutes ces idées plus ou moins passionnées qui les tenaillent de l'intérieur, et à des allusions soutenues sur l'identité des lieux dans lesquels elles vivent ; ce Maghreb pluriel où chaque village trouve son sosie parfait du pays à l'autre, comme si les frontières ne voulaient rien dire. Dans ‘'La main sauvage'', Leila Sebbar se rappelle une maison adossée aux oliviers, protégée par les figuiers de Barbarie, les pentes caillouteuses, les haies épineuses, la mer, l'oncle pêcheur, la grand-mère et les foulards qu'elle serre autour de la tête… C'est le décor dans lequel une petite fille gauchère, une Janfa à la main sauvage destinée à devenir une bonne épouse. Elle s'éprend de couture et y excelle contre toute attente à cause de son ‘'handicap'' et, en classe, elle a également la plus belle écriture… C'est un temps où les superstitions dominent et elle ne trouve d'autre issue, bien plus tard, que de prendre la fuite. Même procédé dans ‘'Une fenêtre qui s'ouvre'', où Emna Belhaj Yahia parle, d'abord, d'une famille unie, une belle maison toute blanche, des repas délicieux… mais aussi des inégalités, des démunis, des mal-lotis, des situations intermédiaires qui sont le lot de la plupart. Il y a aussi des lieux étranges, invisibles, insoupçonnés pour compléter le tableau. Ensuite, elle nous emmène à l'intérieur, pas celui de la demeure, mais celui du for intérieur. Elle a un blocage bizarre sur la main ! Mais elle en tire le meilleur en s'arrêtant devant une formule qui la frappe par sa vérité : ‘'Regarde, les doigts de ta main… ils sont inégaux, il en est ainsi des hommes.'' Et elle devient oiseau aux ailes déployées qui profite de la fenêtre pour s'envoler ! Ajuster sa volonté à celle du destin Dans ‘'Un jour à traverser'', Maïssa Bey poursuit le même tourisme intérieur en se faisant attentive aux excès de chaleur et aux excès de lumière, aux courses dans les champs, aux couleurs et aux formes étranges… Un Maghreb qui scintille à l'extérieur mais qui révèle, à l'intérieur, la solitude, les drames de tous les jours, les habitudes, les nuits opaques, les rituels scrupuleusement respectés, l'engourdissement, les renoncements… Elle se désole de sa vie triviale, les courses du vendredi, le ménage du samedi, la promenade du dimanche, la lessive du lundi… Elle veut plus, bien plus, alors qu'elle découvre ses mains desséchées, ses doigts torturés par l'arthrose, ses ongles striés… Pour se sauver, elle se met à la peinture, si l'on ose dire. Pas pour des prétentions artistiques, juste pour faire sortir les images qui la hantent depuis toujours. Dans ‘'Les sentiers de la main'', Rajae Benchemsi est attirée par une voûte étoilée, la pleine campagne, le mausolée, les croyances, le Prophète, les pèlerinages, les tribus, l'ombre du feuillage du figuier… Tel est son Maghreb, mais il lui manque quelque chose : ses cogitations. Au début était la main. C'est le temps de la grâce. Ensuite vint la parole. C'est le temps de la frivolité. Elle défend la thèse que la parole est la source de tous les maux et, après un long parcours intérieur, elle est enfin prête à ajuster sa volonté à celle du destin. Dans ‘'La vie à mains nues'', Cécile Oumhani est habitée par l'eau de la source chaude, la campagne, le village dont les rues soulèvent des nuages de poussière en été, les fleurs d'oranger, le verger, le chemin, le Kanoun aux braises ardentes… Tout ce que l'on peut voir exactement de la même manière où que l'on se rende dans les contrées du Maghreb. Beaucoup se reconnaîtront, d'ailleurs, dans tous ces pays qui le composent, dans la petite fille qui adore l'école et qui a hâte d'apprendre, avec un mélange de fierté et d'impatience. Et ce n'est rien de moins qu'un crève-cœur quand elle nous fait comprendre qu'elle ne connaîtra plus un sentiment pareil de toute son existence. L'ouvrage ‘'A cinq mains'', 119p., mouture française Par Leila Sebbar, Emna Belhaj Yahia, Maïssa Bey, Rajae Benchemsi et Cécile Oumhani - Editions Elyzad, 2007 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis.