L'affaire a provoqué la démission du ministre de la Santé et le ministère public a ordonné l'ouverture d'une enquête judiciaire. Mais c'est tout un système qu'il faudra mettre dans le box des accusés et non pas seulement les médecins. D'aucuns le savent, la Tunisie dispose des meilleurs médecins dans le monde mais qui se trouvent aujourd'hui pris dans le piège d'une politique qui a montré ses limites dans le secteur de la santé publique. Pas un jour ne passe sans que des révélations ne viennent choquer l'opinion et confirmer l'agonie du secteur de la santé publique. Du scandale des stents périmés à la pénurie de médicaments, en passant par ce nombre qui ne cesse d'augmenter de médecins qui quittent le pays, on n'est pas au bout de nos surprises. Décès dans des circonstances douteuses Certes, il ne s'agit pas de sombrer dans l'alarmisme, mais il est vrai que nous marchons à reculons. Dans notre reportage réalisé en septembre 2017 autour de la suspicion de corruption et de mauvaise gestion à l'hôpital La Rabta, on avait révélé qu'une réelle mafia s'est enracinée dans le secteur de la santé, selon une source relevant de cet hôpital. «On a déjà perdu les acquis des années 80 dans le secteur de la santé», déclare un médecin en place» dans ce même reportage (notre article publié sous l'intitulé «L'hôpital La Rabta gangrené par la corruption» le 11/09/2017). Que s'est-il passé entre-temps. Apparemment la situation n'a pas changé et tous les plans d'action pour réformer ce secteur agonisant ont montré leurs limites. Aujourd'hui, on ne récolte que ce qu'on a semé. C'est un autre secteur qui s'en va à vau-l'eau, marquant la faiblesse de la gouvernance du secteur public. Le ministère de la Santé avait annoncé dans un communiqué le décès de onze nouveau-nés entre le 7 et le 8 mars à l'hôpital La Rabta à Tunis. Des mesures à titre préventif ont été prises aussitôt pour éviter d'autres cas de décès et une commission composée de spécialistes a été chargée de mener une enquête interne. Le ministère public a ordonné l'ouverture d'une enquête pour déterminer les causes réelles de la mort en série des bébés. Un produit d'alimentation parentérale mis en cause La Société tunisienne de pédiatrie (STP) suit avec préoccupation la situation au service de réanimation néonatale de l'hôpital La Rabta suite aux 11 décès de nouveau-nés suspects d'infections nosocomiales, lit-on dans un communiqué publié par le Dr Mohamed Douagi, chef du service de néonatologie et président de la STP. Il a tenu à cette occasion à présenter ses condoléances aux familles des nouveau-nés prématurés qui étaient tous pris en charge pour des infections graves mettant en jeu le pronostic vital. Les éléments de l'enquête en cours s'orientent vers une infection nosocomiale sévère dont le point de départ est un produit d'alimentation parentérale. Le Dr Mohamed Douagi appelle les autorités à faire toute la lumière sur les circonstances de la contamination des produits et à prendre toutes les dispositions nécessaires pour améliorer et mettre en conformité les services de soins avec les normes réglementaires, tout en rappelant les conditions précaires dans lesquelles exercent les professionnels de la santé et l'urgence de prendre les décisions pour sauver l'hôpital public. Démission du ministre Qu'est-il resté de l'image de ces bébés rendus à leurs parents dans des boîtes en carton, sinon la douleur d'une mère, le cri aphone d'un père qui cache mal sa souffrance et l'impuissance d'un cadre médical qui s'est trouvé pris dans l'étau des balbutiements de la politique en matière de santé. Plusieurs personnalités ont appelé à la démission du ministre de la Santé Abderraouf Cherif et ce au moment où le ministère public a ordonné l'ouverture d'une enquête judiciaire pour déterminer les responsabilités. La démission du ministre n'a pas tardé. Elle a été annoncée tard dans la nuit du 9 mars après quatre mois d'exercice (il a été nommé le 05 novembre 2018). Soit le plus court passage pour un ministre au gouvernement Youssef Chahed. Le secteur de la santé publique vit dans une situation kafkaïenne comme le démontrent les départs des médecins, la pénurie de médicaments sous l'effet de la contrebande et de la corruption, l'insuffisance de personnel et de moyens techniques dans les hôpitaux.