Par Bady BEN NACEUR Avec le décès de Hédi Turki, le dernier Pionnier de la peinture en Tunisie, et digne représentant de l'Ecole de Tunis, c'est un épisode historique qui s'achève dans les annales artistiques du pays. La longévité de ce peintre, qui s'est éteint à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans, aura permis, après le décès de Jellal Ben Abdallah, de le considérer comme le second patriarche du village haut perché de Sidi Bou Saïd. Ce promontoire de la «Méditerranée, Bienheureuse», durant le siècle dernier, était devenu en effet une sorte de laboratoire et de «Rêvoir» pour tant d'artistes de notoriété qui y avaient séjourné ou vécu toute leur vie. Un pôle d'une mémoire vivante d'expériences artistiques, de partages et de brassages, une balise certaine, et un flambeau pour les générations montantes. Hédi Turki, qui avait toujours le vent en poupe, représentait, dans sa singularité, à lui tout seul, la douceur du climat tunisien, la beauté de la nature et des sites historiques, l'exquise urbanité des Tunisiens (comme son frère cadet Zoubeïr) qu'il allait chercher dans la médina de Tunis, celle «européenne» dans le Centre-Ville, et partout ailleurs à travers nos régions et même à l'étranger. Sa palette heureuse, débordante de couleurs, de lumière et de poésie, il l'avait mise au service de la fibre classique tout d'abord «pour se faire la main» (disait-il), puis navigant de l'art formel à l'art informel, il avait débouché dans le domaine de l'abstraction irradiante, des sortes de «trames de silences» doublement inspirées par le soufisme et la rencontre des œuvres de l'abstracteur américain Rothko, à New York. Hédi Turki était une sorte de Robin des Bois qui participait volontiers aux accents des générations montantes, car il était curieux de tout et savait que l'art devait évoluer en permanence, au fil du temps et des changements progressifs de la société. Il participait généreusement avec les jeunes plasticiens à tous les débats sur l'art dont il cherchait à partager ses idées, ses connaissances et ses expériences à l'étranger. Il avait même aidé beaucoup d'artistes à promouvoir leur art en Europe ou ailleurs puisqu'il avait été élu vice-président à vie de l'Association internationale des artistes plasticiens (Aiap). Et ne parlons pas de sa modestie permanente, lui qui était bardé de diplômes de prix et considéré par les instances internationales comme par les milieux artistiques d'envergure. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs, on allait lui rendre visite dans la galerie municipale qui porte son nom depuis quelques mois, à Sidi Bou Saïd. Il nous disait naguère (déjà!) qu'il vivait «simplement» dans sa vie familiale, qu'il dévalait le village pour prendre le TGM; que la marche était nécessaire pour sa survie. Il citait Francis Bacon pour se défendre d'être un petit bourgeois ou un nanti : «Les gens pensent que je vis sur un grand pied, alors qu'en réalité je vis dans un taudis». Mais non, il vivait dans sa maison familiale. Hédi Turki c'était un artiste génial et beaucoup de talent. Et qui plus est populaire à l'envi… Paix à son âme et nos condoléances attristées à sa famille.