Poussé dans ses derniers retranchements, le pouvoir algérien (avec sa complexité) a fini par céder, avant-hier, devant les revendications de la marée humaine qui battait le pavé chaque vendredi, depuis le 22 février. Mais tout porte à croire que cette démission du président Bouteflika, l'un des principaux protagonistes de la réconciliation nationale post-décennie noire, va sans aucun doute chambouler le paysage politique et marquer le début d'un nouveau cycle de pouvoir «L'histoire n'est qu'un éternel recommencement !», disait l'historien grec Thucydide. A l'image de ses prédécesseurs Chadli Bendjedid (1979-1992) et Liamine Zéroual (1994-1998), le président Abdelaziz Bouteflika est le troisième chef d'Etat algérien, depuis l'indépendance, ayant acté son départ anticipé du pouvoir. Sauf que pour celui qui dirigeait l'Algérie depuis 1999, cette démission qui vient d'être entérinée, hier, par le Conseil constitutionnel, intervient après six semaines de mobilisation contre lui. Poussé dans ses derniers retranchements, le pouvoir algérien (avec sa complexité) a fini par céder, avant-hier, devant les revendications de la marée humaine qui battait le pavé chaque vendredi, depuis le 22 février. Mais tout porte à croire que cette démission du président Bouteflika, l'un des principaux protagonistes de la réconciliation nationale post-décennie noire, va sans aucun doute chambouler le paysage politique et marquer le début d'un nouveau cycle de pouvoir. «Victoire de la mobilisation populaire» De nombreux partis politiques se sont exprimés sur le sujet, notamment le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui voit dans cette décision de mettre fin à six décennies de vie politique de l'ancien ministre des Affaires étrangères (1963-1978) «la première grande victoire de la mobilisation populaire». Idem pour le Mouvement populaire algérien (MPA ) qui a souligné «le travail accompli par le président de la République au cours de ces 20 dernières années». En effet, avec un mouvement pacifique galvanisé par une jeunesse aux slogans satiriques, dont la maturité politique a surpris plus d'un, cette abdication est non seulement la victoire des contestataires, mais également celle d'une Algérie nouvelle. «Nos concitoyennes et nos concitoyens (...) ont été les artisans d'une révolution populaire pacifique qui nous a restitué notre fierté nationale et fait l'admiration du monde», déclare Ali Benflis, ex-premier ministre d'Abdelaziz Bouteflika devenu un de ses principaux opposants, dans un communiqué où il félicite «le peuple algérien pour sa grande victoire démocratique». La nouvelle a été, également, saluée dans les rues d'Alger par un concert de klaxons de voitures et une liesse de joie même si le spectre de nouvelles manifestations plane toujours appelant à suivre l'exemple de la Tunisie et transformer en profondeur le fonctionnement de ce géant du Maghreb à travers l'adoption d'une IIe République. Effectivement, de nombreuses personnes exigent une «tabula rasa» de tout le système tout en cultivant une certaine méfiance vis-à-vis des hommes de l'ombre du régime et le rôle de l'armée nationale algérienne: un avis non partagé par Ali Ben Felis qui a rendu un hommage appuyé à la Grande muette. «Si le peuple lui-même a été l'artisan de sa révolution démocratique, l'armée (...) a aidé à l'aboutissement apaisé, serein et pacifique de sa toute première phase», a-t-il fait savoir toujours dans le même communiqué de presse. Abdelkader Bensalah, président par intérim? Aujourd'hui, avec cet épilogue mettant fin à vingt ans et quelques mois de règne sans partage d'un homme affaibli par la maladie et cloué sur une chaise roulante depuis un AVC (accident vasculaire cérébral) en 2013, c'est Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la Nation (l'équivalent du Sénat sous d'autres cieux-Ndlr), qui devrait prendre ses responsabilités en prenant l'intérim de la présidence, selon l'article 102 de la Constitution algérienne. Ainsi, dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent, le président de la chambre haute du pouvoir législatif aura la lourde tâche de baliser le terrain pour de nouvelles élections, auxquelles il ne pourra pas se porter candidat. Enfin, du côté des intellectuels algériens, la démission du président Bouteflika n'est qu'une première étape ouvrant la voie à d'autres chantiers. Une bataille gagnée, mais pas la guerre comme en témoigne le statut publié, avant-hier, par le journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud dans le réseau des réseaux. «Le Roi est mort. Et avec lui sa monarchie. Il nous reste le pays: dévasté par la corruption, le doute et les complots, détruit, dépossédé et volé mais vaste et généreux et que l'on va reconstruire. Il reste l'Etat à bâtir et les petits Bouteflika (s) à chasser dans chaque rouage des administrations, partis, syndicats. Il reste à libérer l'économie, l'initiative. La liberté et la justice à réparer», a-t-il écrit. «L'armée à défendre contre la tentation du politique et du tutorat. Il reste à se battre contre ceux qui se prennent pour les martyrs de la guerre d'indépendance, ceux qui se prennent pour Dieu ou son prophète et ceux qui se prennent encore pour des Bouteflika(s) locaux à la place du mort. Mais c'est une grande victoire: sur la peur, sur la paresse et sur le doute», a-t-il conclu.