BEO GARNAGLAY, Liberia (Reuters) — Dans un village isolé des Monts Nimba, au Liberia, une vingtaine d'hommes armés de machettes se tiennent prêts à franchir la frontière ivoirienne pour se battre pour qui les paiera. La plupart sont d'anciens combattants de la guerre civile qui a éclaté à la fin des années 1980 au Liberia et a fait rage pendant les années 1990. Sans ressources, ils n'ont pas retrouvé de place dans la société une fois la paix revenue. Ils observent la Côte d'Ivoire voisine, qui a replongé dans la crise après le second tour contesté de l'élection présidentielle, le 28 novembre, et y voient une source potentielle de revenus. Certains d'entre eux sont affublés de perruques, réminiscence du conflit libérien où certains combattants s'étaient persuadés que ces artifices les protégeraient des balles. Aucun n'a d'arme à feu. «Nous travaillons depuis des années dans ce secteur», dit l'un d'eux, qui se fait appeler Jack. «Nous savons bien nous battre, et si les hommes de Gbagbo ou de Ouattara peuvent nous employer pour nous battre, ce sera bien», poursuit cet homme de 33 ans. Les partisans d'Alassane Ouattara accusent Laurent Gbagbo d'avoir recruté des centaines de mercenaires libériens. Le camp du président sortant dément, mais des diplomates et des sources du monde de la sécurité évoquent jusqu'à 1.000 «soldats de fortune» rémunérés par le pouvoir. Des groupes de défense des droits de l'Homme avancent eux aussi que des mercenaires libériens auraient participé aux affrontements qui se sont produits mi-décembre dans les rues d'Abidjan. Contrôler les frontières «De nombreux témoins au cours des manifestations du 16 décembre à Abidjan ont noté la présence de Libériens, identifiables par leur utilisation de l'anglais et leurs uniformes disparates», écrivait ainsi Human Rights Watch à la veille de Noël, ajoutant que le recrutement de mercenaires libériens avait débuté début décembre. «Bien que les données recueillies jusqu'à présent portent sur le recrutement par les partisans de Gbagbo, les antécédents de recrutement par les Forces nouvelles (ex-rebelles ivoiriens), qui soutiennent activement Ouattara, font craindre que les mercenaires puissent passer dans la moitié nord de la Côte d'Ivoire pour fomenter là aussi l'instabilité», ajoutait HRW, appelant l'ONU et le gouvernement libérien à contrôler les frontières. Malgré les démentis, l'inquiétude est là. Plusieurs milliers d'Ivoiriens — plus de 18.000 selon l'ONU — ont fui leur pays pour se réfugier au Liberia. Ce semblant d'exode pourrait porter les germes d'une déstabilisation dans un pays qui compte parmi les plus pauvres de la planète, où le revenu moyen est inférieur à un dollar par jour. A Beo Garnaglay, Jack explique qu'aller se battre en Côte d'Ivoire est une nécessité économique pour nombre des hommes qui sont à ses côtés. «Certains d'entre nous ne travaillent pas. Nous nous sommes battus pour plusieurs groupes (...) Notre gouvernement nous a désarmés mais a refusé de nous intégrer dans les nouvelles forces armées», poursuit-il. Un de ses compagnons, Black Car, abrège l'interview: «Partons d'ici. Ces gens vont dire au monde que nous allons nous battre alors que nous sommes en mission, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour pouvoir revenir ici aider nos familles.» Le mois dernier, la Présidente libérienne, Ellen Johnson Sirleaf, a appelé ses compatriotes à rester à l'écart de la crise ivoirienne.