Port-au-Prince (AP) — L'ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, surnommé «Baby Doc», a fait un retour surprise hier en Haïti, 25 ans après avoir été renversé par la population d'un pays aujourd'hui confronté à une profonde crise politique, une épidémie de choléra et une reconstruction quasi-inexistante un an après le séisme de janvier 2010. En exil en France depuis sa chute en 1986, Duvalier a été accueilli par quelque 200 partisans enthousiastes à son arrivée dimanche à l'aéroport de Port-au-Prince, mais n'a pas expliqué les raisons de ce retour. «Je ne suis pas ici pour la politique», a-t-il déclaré à Radio Caraïbes. «Je suis ici pour la reconstruction d'Haïti». Sa compagne Véronique Roy a déclaré à la presse qu'il comptait rester trois jours dans le pays. Le porte-parole de Duvalier, Robert Sterling, a déclaré que le séisme l'avait incité à revenir à Haïti et qu'il s'expliquerait sur son retour lors d'une conférence de presse aujourd'hui. «Il voulait revenir pour voir quelle est la situation de la population et du pays», a précisé M. Sterling. Le président haïtien René Préval, un ancien militant anti-Duvalier, ne s'est pas exprimé publiquement sur ce retour, bien qu'il ait déclaré en 2007 que l'ancien dictateur devrait répondre devant la justice de la mort de milliers de personnes et du vol de millions de dollars s'il remettait les pieds à Haïti. Duvalier n'est, semble-t-il, sous la menace d'aucune inculpation dans le pays et n'a fait l'objet d'aucune tentative d'arrestation. De son côté, le Premier ministre Jean-Max Bellerive a minimisé l'événement. «C'est un Haïtien et en tant que tel, il est libre de rentrer au pays», a-t-il déclaré à l'Associated Press. Human Rights Watch a en revanche appelé les autorités haïtiennes à «arrêter et poursuivre» l'ancien dictateur pour de «graves violations des droits de l'homme». «Sous la présidence de Duvalier (...) des milliers de personnes ont été tuées et torturées, et des centaines de milliers d'Haïtiens» ont fui le pays, rappelle l'organisation américaine de défense des droits de l'Homme dans un communiqué publié lundi. Jean-Claude Duvalier, 59 ans, est arrivé à bord d'un vol Air France. Son retour intervient alors qu'Haïti fait face à une grave crise politique depuis le premier tour contesté de l'élection présidentielle fin novembre. Le pays souffre également toujours des conséquences du séisme du 12 janvier 2010, un million de sinistrés vivant encore dans des camps de toile surpeuplés. Et une épidémie de choléra a fait plus de 3.500 morts depuis octobre. En 1986, les Haïtiens avaient dansé dans la rue pour fêter la chute de Duvalier, qui marquait la fin d'une ère de terreur et de répression ouverte en 1957 avec l'accession à la présidence de son père, François Duvalier, dit «Papa Doc». «Bébé Doc» lui avait succédé en 1971, à l'âge de 19 ans. Les Duvalier ont torturé et tué les opposants politiques, s'appuyant sur les Tontons Macoute, leur redoutée police secrète. «Bébé Doc» a également été accusé d'avoir détourné des millions de dollars d'argent public et de les avoir placés sur des comptes en Suisse. Jean-Claude Duvalier compte une poignée de fidèles à Haïti, qui ont fait campagne pour son retour d'exil. «Nous voulons qu'il soit président parce que nous ne faisons confiance à personne dans cette élection», a déclaré dimanche Haïti Belizaire, un de ses partisans venus l'accueillir à l'aéroport. «Il a fait des mauvaises choses, mais depuis qu'il est parti, nous n'avons pas eu de stabilité». L'arrivée surprise de Duvalier suscite des spéculations sur un éventuel retour d'un autre ancien dirigeant haïtien, l'ex-président Jean-Bertrand Aristide. «J'ai été surpris d'apprendre la nouvelle et je me demande quelle sera la prochaine étape, ce que Préval va dire et ce qu'Aristide va faire», déclare Robert Fatton, professeur d'histoire d'origine haïtienne à l'université de Virginie (Etats-Unis). «Je suppose qu'Aristide va tenter de revenir aussi vite que possible», dit-il. M. Fatton s'interroge également sur le rôle joué par la France dans le retour de "Bébé Doc". Selon lui, Paris devait savoir que l'ancien despote embarquait sur un vol d'Air France pour Haïti. «N'oublions pas ce qu'était le duvaliérisme: des camps de prisonniers, la torture, les arrestations arbitraires, les exécutions extrajudiciaires, la persécution de l'opposition», rappelle de son côté l'auteure américaine Amy Wilentz, spécialiste d'Haïti. «Si les autorités haïtiennes permettent à Duvalier de rentrer, peuvent-elles s'opposer au désir du président exilé Aristide de revenir au pays ?» écrit-elle dans un courriel à l'Associated Press.