Bien au chaud, pour l'instant, dans un quartier cossu de Jeddah, Ben Ali coule des jours paisibles en Arabie Saoudite, assis, dit-on, sur un tas d'or. L'occasion de revenir sur l'art de la fuite pour dictateurs déchus. Un jeu subtil: assurer sa sécurité physique, financière et juridique. Le tout dans le chaos et la précipitation. A l'heure où les régimes vacillent, dans la panique généralisée, pas évident de trouver un point de chute. Le fond de l'air est à la révolution. La jeunesse est dans la rue, l'armée a rendu les armes. Priorité : sauver sa peau, les meubles et, si possible, quelques tonnes d'or. C'est l'art de la fuite. Une technique que tout dictateur digne de ce nom se doit de maîtriser en virtuose pour s'en sortir. L'exil doré — à l'abri des recours judiciaires — de chefs d'Etat a toujours été la solution privilégiée par tous ceux qui souhaitaient mettre fin aux crises consécutives à des coups d'Etat, des rébellions ou des remous post-électoraux en Afrique. Des solutions plus ou moins négociées, selon des critères diplomatiques, judiciaires et de sécurité. Le départ s'effectue dans des conditions non ordinaires, avec pour destination, le plus souvent, un pays africain. L'Amérique du Sud a eu son heure de gloire, notamment avec Erich Honecker, réfugié au Chili. La France est aussi une destination très courue des dictateurs. Paris, un must : le Congolais Pascal Lissouba, le Malgache Didier Ratsikara, l'Haïtien Jean-Claude Duvalier ou encore l'Iranien Rouhollah Khomeini" Khomeini, tous ont pris leurs quartiers dans la capitale. Le Moyen-Orient a ses fidèles. Le plus célèbre d'entre eux étant Idi Amin Dada, le chef d'Etat ougandais, contraint à près de 25 ans d'exil en Arabie Saoudite où il finira ses jours en 2009, touchait une rente de 800 livres par mois. Des expatriés de force souvent tentés par un retour au pays Le phénomène n'épargne d'ailleurs pas non plus des chefs d'Etat, qui, sans briller par leur engagement démocratique, ne peuvent être qualifiés de dictateurs. Récemment, les Etats-Unis ont proposé l'exil politique comme porte de sortie à Laurent Gbagbo. D'autres auraient été formulées plus tôt par le Nigeria ou l'Angola. « Mais pour les accepter, encore faudrait-il que Laurent Gbagbo se voie confirmer plusieurs garanties : sécurité financière et physique, immunité diplomatique, absence de représailles de la part de son successeur et, éventuellement, participation à la vie de la nation ivoirienne », explique France 24. Certains n'hésitent pas à rentrer au bercail après de longues années d'absence tel Jean-Claude Duvalier qui, après 25 années d'exil en France, est arrivé cette semaine en Haïti. « L'exilé est un mort sans tombeau », dit le poète. De quoi expliquer la volonté farouche de tous ces « expatriés » de force de tenter un retour au pays. Rares sont les autocrates qui finissent leurs jours paisiblement dans leur palais. Staline, Mao, certes… Ceaucescu écarté du pouvoir par la force et exécuté dans son pays. Hitler, quant à lui, aura choisi son bunker pour ultime exil. Jeddah, le royaume des dictateurs déchus ? Pris de court, parti sans plan de vol, la fuite de Ben Ali avait tout du départ précipité. En guise de carrosse, un avion à destination de Lyon, à bord duquel tente d'embarquer Leïla Ben Ali. Mais l'équipage lui en refuse l'accès. Le clan de la belle-famille de Ben Ali décide alors de fuir à son tour. Gendres, cousins, neveux s'enfuient à bord de leurs yachts privés, à Dubaï ou en Libye. Tous emportent avec eux des liasses de billets et des kilos de lingots d'or. Selon Le Monde, l'Elysée soupçonnerait la famille de l'ancien président tunisien de s'être enfui avec 1,5 tonne d'or, soit 45 millions d'euros. D'après les services secrets français, la femme de Ben Ali aurait été chercher les lingots d'or à la Banque centrale de Tunisie. Ce que le gouverneur aurait de prime abord refusé avant de céder sous la pression de l'ex-président tunisien. Une information démentie par la Banque centrale tunisienne. Ben Ali est arrivé dans la nuit de vendredi à samedi à l'aéroport de la ville portuaire de Jeddah, sur la mer Rouge, en compagnie de six membres de sa famille dont son épouse Leïla, selon des sources concordantes. « Le gouvernement saoudien a accueilli le président Zine El Abidine Ben Ali et sa famille dans le royaume (...) en considération pour les circonstances exceptionnelles que traverse le peuple tunisien », a d'ailleurs annoncé le cabinet royal saoudien dans un communiqué. Des témoins ont affirmé avoir vu un convoi officiel se diriger, peu après l'arrivée de l'avion de M. Ben Ali, vers le palais des hôtes du quartier cossu d'Al-Hamra, près du bord de mer. Un nouveau nid douillet pour dictateurs déchus ? Arrivé en 1979, la présence d'Idi Amin Dada sur le territoire avait été jugée encombrante par le royaume. Malgré sa proximité avec la famille royale saoudienne, selon RTL , Ben Ali pourrait bien se voir contraint à un départ plus précipité que prévu...