Depuis la chute du régime de Ben Ali, de triste mémoire, les ministres, aussi «transitoires» soient-ils, et bien qu'assis sur des sièges «éjectables», ont (selon l'expression bien française) «retrouvé leur langue». Et quelle langue! puisque pratiquement tous les soirs, sur les différentes chaînes de télévision, nous «recevons» chez nous, bon gré, mal gré, un ou deux, voire plus, de ces ministres souvent courageux et sincères, parfois calculateurs — future campagne électorale oblige — qui nous font une belle démonstration d'éloquence. Nous nous souvenons de ceux qui ont collaboré avec le président déchu : ils n'avaient pas le droit de passer à la télé ou si peu ; ils avaient l'obligation de lui exprimer gratitude et autres louanges à tout bout de champ. On les plaignait ! Après la révolution, non pas «du jasmin», mais celle d'un peuple de jeunes opprimés et lâchés à leur propre sort, animés de leur droit légitime à la dignité et à la vie, les nouveaux ministres semblent ne pas avoir de directives concernant le nombre de passages ni leur durée. Ils pratiquent souvent un dialectal épuré ou un arabe littéraire presque sans fautes. Ce n'est pas fait pour déplaire aux puristes, dont nous sommes. Les engagements du ministre de la Culture Azedine Beschaouch, le minitre de la Culture, très à l'aise devant les caméras, nous a gratifiés d'un joli tour d'horizon, aidé en cela par les animateurs de Bila Moujamala sur Hannibal-TV. Ce spécialiste du patrimoine a commencé par définir, comme elle le mérite, cette révolution «pour la liberté et la dignité», et a affirmé la nécessité de la protéger. Le meilleur moyen, dit-il, c'est la culture. Le Tunisien se doit de garder en mémoire sa civilisation, son histoire et d'en être fier. «Aussi, le ministère sera-t-il celui de la conservation de notre legs culturel» a-t-il notamment dit. Celui-ci doit nous coller à la peau; il est sacré; nul n'a le droit de le laisser à l'abandon, ni de le vendre comme certains semblent le faire ou avoir envie de s'y employer. En rappelant son intention ferme de régler la situation de ses subordonnés, fort nombreux (près de trois mille employés), dont une grande partie dans des situations plus critiques les unes que les autres, il a affirmé qu'il n'y aurait plus de place dans ce ministère pour tout responsable qui aura trempé dans d'éventuelles malversations. Puis interrogé par Lamine Nahdi, invité lui aussi, sur les comités de lecture des œuvres culturelles auxquels les créateurs étaient soumis, le ministre s'est montré ferme : «Il n'y aura plus jamais de censure dans tous les domaines de la culture !». Ce fut un moment fort, étant donné que c'était la première fois depuis toujours, aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali (et bien entendu sous le protectorat), qu'il n'y aura plus, en Tunisie, de censure sur les livres importés, sur les films, sur les cassettes, ou sur les disques laser… Nous supposons que tout le monde a poussé un soupir de soulagement, depuis le temps que nous nous chargions de ramener de France , en douce, un Monde diplomatique interdit ou un Jeune-Afrique peu plaisant et de passer la douane, la peur au ventre. Culture et développement D'autres sujets abordés par le ministre, qui avait l'air d'aimer son boulot et surtout d'être décidé à agir, ont retenu notre attention, tels que le problème du Théâtre national avec la mise à l'écart de Mohamed Driss «dès le lendemain», la récupération des pièces archéologiques chères à son cœur et aux nôtres, dont certaines ont traîné dans les demeures luxueuses de certains mafieux de l'ancien régime, les attachés culturels dans les ambassades, les aides colossales au cinéma… et d'autres sujets qu'il disait avoir l'intention de débattre avec les hommes de culture qui voudraient bien s'associer à la mise en œuvre d'une nouvelle conception de la politique culturelle. Enfin, hormis cette grande décision de supprimer la censure, le ministre a insisté sur la Charte de l'Unesco où il a passé de très longues années au service du patrimoine mondial, qui rappelle que «la culture est le moteur du développement durable !». Aussi, insista-t-il sur la mise en valeur des richesses culturelles des régions. Mais aussi sur la séparation obligatoire de la politique et de la culture. Le ministère doit veiller à servir cette dernière, mais pas à la produire. Nous ne pouvons que lui souhaiter bonne chance, et surtout, bon courage !