Drôle d'oiseau que le flamant rose, avec ses poses incongrues, ses postures improbables, son équilibre, instable, et drôle d'artiste que Ali Fekih, autodidacte, circassien routard atteint par la polio, qui a peut-être appris de la fréquentation des arts martiaux asiatiques à faire de son handicap un atout et une chance. Cet artiste, d'origine tunisienne, était là, à Mad'art, pour présenter son solo «les flamants roses». Pourtant, tout n'est pas rose dans la vie d'Ali, et c'est cela qu'il nous livre dans ce solo autobiographique. En effet, il nous parle du grand fracas de son enfance brisée, des craies de couleur fracturées, des crayons qui n'écrivent pas. Et des voix et des sons enregistrés sur des cassettes. Ali déroule le film de sa vie en déroulant la bande magnétique de cette vieille K7. Il déballe des sacs contenant des bribes de vie, la sienne. Corps et prothèse, double carcasse… Solitude… du plastic et des morceaux de craies en couleurs éparpillés sur la scène. Cet artiste manie brillamment «l'arte povera» des bouts de ficelle. Il pousse ses béquilles à bout ou les brandit. Equilibriste. Elles le tiennent à distance de la terre, et nous offre un des plus beaux poèmes, parce qu'écrit par le corps. Prouesses physiques et gestuelle éclatée, Ali sait bien raconter les choses et, surtout, définit quand se taire et laisser la parole au silence. Sa ressemblance avec le flamant rose, ce volatile majestueux, il la cultive et l'accentue avec ses collants roses qui couvrent ses jambes si fines et si peu fragiles. Ali Fekih est parmi nous, non seulement pour participer à un festival, mais pour soutenir les Tunisiens dans ce perpétuel combat pour la liberté et la dignité. Et pour ceux qui se poseraient la question à quoi bon un festival de danse en ces temps, pas souvent évidents, Raja Ben Ammar répond par ce texte de présentation : «Donner à voir le langage du corps saisi dans ses excès, le corps qui propose une mise en scène en vision des possibles. Il y a une pensée dans l'action. Le corps momifié par les médias, de la publicité à la mode, standardisé, expurgé de ses moindres signes particuliers, réduit à une surface conforme par la fiction télévisuelle. Le corps sous surveillance, le corps multiplié, masse informe par le pouvoir, le corps absent, le corps anesthésié, le corps se ressaisit, réagit, réfléchit, aborde l'énergie générée autour de lui, reçoit le flux du mouvement et les restitue. Le corps dans la création s'élargit à sa dimension trans-individuelle. Ces rencontres seront une mise en espace de ce que peut le corps comme expression extrême de la révolte, comme transgression et comme dépassement de soi. Vingt et un chorégraphes interrogent, esthétiquement, dans des démarches contemporaines différentes, les représentations du corps dans les enjeux de la révolution et de la restructuration de la société. A travers les diverses pièces chorégraphiques, c'est, surtout, dans cette part du corps meurtri, révolté et vivant que chacun pourrait se reconnaître et éprouver. Cette édition est un hommage au corps immolé, au corps torturé, emprisonné, blessé, ligoté, muselé. Le corps qui manifeste qui résiste, les corps qui font corps, le corps vivant, le corps des possibles».