• Des otages relatent leur descente aux enfers La Presse — A quelques heures de l'aurore, le terminal 2 de l'aéroport TunisCarthage connaît un mouvement fébrile, étant beaucoup plus peuplé qu'il ne l'est d'habitude. Cela se comprend. L'événement n'est pas du tout des moindres. En attendant l'arrivée des 23 otages tunisiens relevant de l'équipage du navire Hannibal II attaqué et détourné il y a quatre mois par les pirates au large des eaux somaliennes, l'ambiance est des plus émouvantes. Larmes de joie, cris d'enfants, hommage à la révolution du 14 janvier et aux martyrs tunisiens, le tout s'entremêle et donne à voir un microcosme datant de la Tunisie de l'après- Révolution. Pères, mères, femmes et enfants ont souffert le martyre en l'absence de proches cherchant à gagner leur pain à la sueur de leur front. Le temps d'une attente, des cœurs chavirés et des visages larmoyants suscitent soutien et compassion. Le compte à rebours rythme la palpitation des cœurs. L'émotion est à son comble. Et les premiers venus sont accueillis par des «youyous» que des femmes émettent à gorge déployée. Chaleureusement salués pour leur audace, ils ont raconté les différentes phases d'une descente aux enfers et d'un voyage aux confins de la souffrance. Mohamed Ali Bou Naouara, navigateur mécanicien et l'un des 23 otages revenus de loin, souligne que les conditions de leur détention par les pirates étaient pour le moins tragiques. «C'était après trente minutes de résistance farouche que nous avons succombé à la sauvagerie de ces pirates. On nous a attaqués par des kalachnikovs et d'autres types d'armes. Heureusement qu'il n y avait pas de morts parmi nous. D'ailleurs, entre-temps, on a vainement demandé secours à l'alliance relevant des forces de l'Otan, se trouvant dans la zone pour la protection des navires de navigation. J'ai entendu la responsable dire à notre commandant lors d'un appel téléphonique ‘open your door', c'est-à-dire ouvrez votre porte. C'est tout ce qu'ils ont pu faire. Livrés à nous-mêmes, nous avons lâché prise, vu l'inégalité des forces du combat. Nous avons également passé quatre mois détenus dans la passerelle du navire. Comme nous n'avions droit qu'à un seul repas pour toute la journée, on nous accordait cinq minutes pour manger et deux pour les toilettes. Les agressions verbales et physiques on en a subies souvent. L'un des nôtres a été attaché par des chaînes. Pire, ils nous ont utilisés comme hameçon et moyens de négociation lors de leurs attaques suivantes. Là, je parle de deux attaques au large de l'océan indien. Puis, d'une autre ayant ciblé le navire algérien ‘‘Blida''», fait savoir Mohamed Ali. Le navigateur qui a miraculeusement échappé aux «dents de la mer» parle en gesticulant. Tantôt remerciant Dieu pour son aide, tantôt louant les efforts de la famille médiatique dans cette affaire, il avait, à certains moments, failli perdre espoir pour regagner la patrie et sa famille. «Franchement, tout comme le reste de mes coéquipiers, j'étais, parfois, pessimiste quant à notre sort. Nous avions tous l'impression qu'on nous a oubliés, vu l'importance de la somme exigée par les pirates pour nous délivrer (huit millions de dollars au départ). Sans oublier la campagne de désinformation menée par les parties concernées à l'époque de Ben Ali. Permettez-moi, à cette occasion, d'exprimer toute ma reconnaissance aux martyrs de la liberté et à tous ceux qui ont défendu notre cause et supporté nos familles pendant des moments très difficiles», ajoute Mohamed Ali, en présence de sa femme. Cette dernière avait perdu son sourire tout au long de la détention de son époux. Aujourd'hui qu'elle le retrouve en chair et os, tous ses traits expriment une joie colossale et le sourire se redessine sur un visage épanoui. «C'est à l'évidence un grand jour. On doit allégeance à la Tunisie et à ses hommes libres», note Mme Bou Naouara. De l'autre côté de l'aéroport où certains médias avaient accouru pour des scoops en provenance du large somalien, certains otages n'en croient pas encore leurs yeux. Retrouver la patrie après une véritable descente aux enfers, il n'y avait pas si longtemps, était un espoir qui semblait irréalisable. Emus, ils se contentent de lancer «Vive la Tunisie, vive le peuple tunisien, Tunisien et fier de l'être». Mais Mohamed Ali demeure le plus éloquent dans ce qu'il rapporte. Il raconte les faits comme un narrateur chevronné. «Notre navire a été gravement touché. Et là, je me demande où est l'organisation des Nations Unies dans tout ça. C'est vrai qu'elle couvre le golfe d'Aden, mais il faut tout de même couvrir l'océan Indien pour préserver le commerce maritime contre ces pirates». S'agissant de la libération, il fait savoir que le jour j, un avion venu de Djibouti, avec la collaboration de l'ambassadeur de Tunisie là-bas, a fourni les quatre millions de dollars en quatre étapes, en argent cash, dans quatre caisses ramassées par les pirates naviguant en ski nautique. Toutefois, le plus étonnant comme il l'observe c'est que sur le chemin du retour, les otages auraient été une autre fois attaqués n'eût été l'intervention des forces militaires françaises présentes sur les lieux.