D'après les statistiques qui nous parviennent de l'autre côté de la Méditerranée, plus de 15.000 immigrés dont 10.000 Tunisiens ont afflué sur la petite île de Lampedusa qui ne compte que quelque 6.000 habitants seulement. Ils sont tous des jeunes de 20 à 30 ans, diplômés, mais aussi qui ont de petits jobs et quelques évadés de prison. Pour la plupart originaires des régions du Sud, ils ont embarqué à partir des ports de Zarzis, Gabès et Sfax, prenant le risque de traverser la mer, bravant les intempéries, à bord d'embarcations de fortune avec pour unique espoir de trouver un travail ou un asile, bref, fuir la précarité et la misère. Ce risque est loin d'être calculé puisque des dizaines d'entre eux ont péri en pleine mer. Accueillis comme des rescapés si ce n'est comme des «prisonniers», ils ont été entassés dans des casernements et des centres de rétention où les conditions se dégradent de jour en jour. Certains ont passé des nuits entières à la belle étoile, dans l'attente d'un quelconque secours humanitaire. Les problèmes qui étaient à l'origine de cette révolution n'ont pas été résolus, pour ne pas dire qu'ils se sont accentués. Le gouvernement de transition, soumis à de fortes pressions, se trouve dans l'incapacité de répondre à toutes les revendications, tellement les priorités s'imbriquent les unes sur les autres : la restauration de l'autorité de l'Etat, la sécurité, l'emploi, la relance économique…avec en sus un agenda politique qui piétine. Ajouter à tout cela le retour massif de milliers de nos concitoyens de Libye, et le tableau se fait davantage plus morose. Cet exode massif, comparé par le ministre italien de l'Intérieur à celui qui suivit la chute du mur de Berlin et considéré comme un «véritable cataclysme», a provoqué des tensions parmi la population locale et a fortement embarrassé les gouvernements européens, exacerbant les sentiments de xénophobie et de racisme. Belle aubaine pour une extrême droite à l'affût de tels événements et l'on a vu Marine Le Pen, la nouvelle patronne du Front national accourir, en pleine campagne de cantonales françaises, à Lampedusa, pour exprimer «sa très vive inquiétude et crier à la catastrophe». L'Europe «du droit humanitaire» ne semble pas prête à assumer les responsabilités qui sont les siennes face à un phénomène qui, faut-il le rappeler, ne date pas d'aujourd'hui. Confinée, depuis plusieurs années, dans une logique sécuritaire avec le verrouillage des frontières et l'instauration des conditions draconiennes pour l'obtention des visas, elle se contente de déclarations d'intention tout en affirmant qu'«il ne peut y avoir de tolérance pour l'immigration clandestine». Toutefois, force est de relever que la solution sécuritaire à la question migratoire a échoué et que dans la situation actuelle des choses, ni la Tunisie, ni la Libye ni encore moins l'Egypte qui passent par des périodes difficiles, ne peuvent assurer le rôle de gendarmes pour cette Europe frileuse et pas disposée à trouver ou à aider à trouver des solutions radicales à ce phénomène. L' UE qui se déclare prête à soutenir les transitions démocratiques et à «offrir son aide» aux pays concernés, devra partager, ce «très lourd fardeau de l'immigration illégale» avec tous ses partenaires et s'impliquer, avec moins de cynisme et sans arrières pensées, dans les processus en cours. Et ce n'est pas par une aide parcimonieuse qu'on pourrait mettre en place un plan de développement d'urgence pour relancer une économie sinistrée et créer de nouvelles opportunités d'emplois stables et rémunérateurs pour une jeunesse de plus en plus tentée par l'émigration clandestine.