Monsieur le Premier ministre, réveillez-vous ! Votre tout nouveau ministre de l'Intérieur, à peine nommé, vient, selon le journal La Presse, du samedi 2‑avril, non seulement d'approuver l'amendement du décret n°717, daté du 13 avril 1993 autorisant le voile sur les photos d'identité, mais d'ordonner l'application de cet amendement. Y a-t-il urgence en la matière ? Le gouvernement n'a-t-il pas mieux à faire en ce moment que de s'occuper d'un sujet qui n'est pas à l'ordre du jour‑? Ou bien s'agit-il, à l'occasion du dix-huitième anniversaire de cet amendement, de l'appliquer en vitesse avant le 13 avril, pour plaire à messieurs les salafistes‑? Dix-huit ans que ce décret et son amendement dorment dans un placard, sans que personne ne se soucie de les exhumer. Mais dans l'hypothèse où les extrémistes religieux arriveraient au pouvoir, ce qui ne saurait faire de doute au train où vont les choses, cela leur ferait toujours un décret de moins à promulguer, parmi la multitude des autres qui ne manqueront pas de suivre‑: voile obligatoire pour toutes les femmes et les filles pubères, suppression de la mixité à l'école et dans les transports, retour des femmes à la maison (à plusieurs‑! En raison de la polygamie réinstaurée au grand bonheur de ces croyants passionnés), avortement et divorce interdits, mais répudiation remise au goût du jour, etc. Pourquoi ne pas laisser les islamistes eux-mêmes ordonner l'application de ce décret lorsque ce sera à eux d'imposer leur loi, lorsqu'ils auront été élus légalement‑? Si le gouvernement continue à avancer à reculons, il n'y a pas de doute que la démocratie ne verra pas le jour‑: elle sera mort-née. Puisque le gouvernement actuel est occupé à ressortir de vieux décrets laissés aux oubliettes au lieu de s'occuper des priorités, ne nous étonnons pas de voir les mouvements islamistes accaparer bruyamment l'espace public et se rendre indispensable aux yeux d'une bonne partie de la société… Le ministre de l'Intérieur peut-il décider à lui seul de l'opportunité de faire régresser la femme tunisienne alors que celle-ci vient de prouver avec éclat qu'elle était mûre pour la démocratie‑? Qu'il est loin le temps où Bourguiba pensait à la femme en termes de modernité et de liberté‑! La fameuse séquence télévisée où il enlève à une femme son safsari, l'auriez-vous oubliée, vous, Monsieur le Premier ministre, qui étiez aux côtés de Bourguiba au moment de l'élaboration du Code du statut personnel‑? J'espère que les femmes tunisiennes, elles, ne l'oublieront pas, lorsqu'il s'agira d'aller voter.