Du 14 au 16 avril, le club Histoire et archéologie de la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis (9 avril) organise une campagne de sensibilisation contre le trafic illicite des biens culturels. Au programme de cette manifestation qui a choisi de se faire pendant le mois du patrimoine (18 avril - 18 mai), une table ronde sur «Le patrimoine tunisien et la législation en vigueur», une exposition de copies archéologiques pour sensibiliser à la richesse du patrimoine culturel ainsi qu'un stand de sensibilisation présentant les lois, décrets et conventions concernant le patrimoine archéologique. La table ronde sur «Le patrimoine tunisien et la législation en vigueur» a eu lieu hier dans l'une des salles de la faculté. Devant la salle, le stand de sensibilisation permet de consulter des documents sur la question, avec une projection de photos de sites archéologiques. Les interventions du professeur Sadok Ben Omrane et de Hamdane Ben Romdhane de l'Institut national du patrimoine (INP) ont permis d'éclairer l'audience sur le réel danger qu'encourent nos sites archéologiques, constamment pillés. Ils ont également parlé des causes et des moyens de lutte contre ce mal qui met notre mémoire et notre identité en péril. «C'est avant tout une question de citoyenneté. Le vol est partout, surtout après le 14 janvier», a commencé par affirmer Sadok Ben Omrane. Ce dernier a pris l'exemple de l'île de Djerba pour illustrer le manque de conscience et ses conséquences sur la détérioration et la perte du patrimoine de la ville. Elle compte 600 monuments historiques répartis sur sa surface totale de 514 km. Certains sites ont complètement disparu à cause du pillage qui atteint le marbre, les mosaïques, la céramique et les pierres taillées. Plus de 300 mosquées à Djerba constituent de vrais témoins sur son histoire et sur l'architecture berbère ibadite. Il y en a même qui datent du 4e siècle de l'hégire. Mais, faute de conscience de l'importance de ces monuments, ils sont défigurés suite à des opérations de restauration mal faites ou de fouilles clandestines à la recherche de trésors anciens cachés. Récemment, la mosquée Sidi El Bahri a été rasée par un citoyen. Quelques monuments échappent au pillage et sont restaurés par l'INP. Il n'empêche que dès que les travaux s'arrêtent ou le financement fait défaut, les vols reprennent de plus belle en l'absence de moyens efficaces pour les stopper. Ils sont commis autant par les habitants que par des criminels organisés et spécialisés dans l'exportation et la vente d'objets archéologiques. La conscience citoyenne et la volonté politique sont les deux moyens mis en avant pour mettre un terme au pillage. Le professeur a même proposé que des comités locaux volontaires se constituent pour surveiller les sites partout en Tunisie. Hamdane Ben Romdhane a, lui aussi, évoqué la fragilité du système de lutte contre le pillage, puisque la brigade archéologique relève du ministère de l'Intérieur et est composée de policiers non formés à ce domaine particulier. Outre les sites archéologiques, les musées ne sont pas en reste dans le vol, ce qui est vraiment alarmant. Quant à la législation en vigueur, contenu du Code du patrimoine, il faudrait, selon Ben Romdhane, la réviser de façon à en faire un bouclier efficace et préventif, pour dissuader les trafiquants et les voleurs en général. Parfois également, les terres sur lesquelles se trouvent les sites archéologiques ou les carrières antiques sont une propriété privée. Il est dans ce cas difficile d'y surveiller les fouilles clandestines et le statut foncier des sites devrait être pris en considération dans le volet juridique. A l'issue de cette table ronde, tout semble indiquer que le professeur Sadok Ben Omrane n'exagère en rien quand il qualifie l'état de notre patrimoine de lamentable. C'est d'autant plus grave qu'il n'existe même pas d'inventaire exhaustif des sites archéologiques tunisiens. Un projet de carte nationale des sites archéologiques traîne en effet depuis les années 90. Au moment où vous lisez cet article, des pans entiers de notre identité et de notre Histoire sont en train d'être dérobés. Manque de conscience et conditions sociales difficiles obligent, des pièces archéologiques sont parfois vendues sur la route. Les témoignages des intervenants sont plus qu'alarmants. Les solutions et l'application sur le terrain tardent à venir. Un appel aux autorités concernées et à la conscience de tout citoyen soucieux de l'avenir du pays semble nécessaire. A l'aube de la Tunisie de la deuxième République, le patrimoine est l'affaire de tous !