Les prismes obscurs des critères de jugement Stupéfaction générale samedi dernier au Majestic, où se déroulait la cérémonie du Comar d'or, dans sa 15e édition. Le jury du Prix du roman en langue française n'a pas cru bon de décerner la récompense tant convoitée. Cet événement inattendu n'a pas fait que des heureux, loin s'en faut. Faute donc d'avoir rempli les conditions requises et exigées pour un tel honneur, la consécration, celle que l'on attendait, n'a pas eu lieu. Sur quels critères s'est-on appuyé pour justifier ce subtil escamotage? Les deux romans primés par le Prix spécial du jury, certes appréciés mais pas au point d'être dignes du Comar d'or sont‑: Bordj Louzir de Rabaâ Ben Achour Abdelkéfi et Ce qu'Allah n'a pas dit de Mohamed Bouamoud (voir La Presse du mercredi 9 juin 2010 pour le premier et le dimanche 1er janvier 2011 pour le second). Ces deux livres présentent un intérêt certain dans la mesure où l'un et l'autre traitent de questions d'une brûlante actualité, qui jettent un pavé dans la mare des événements que vit la société tunisienne depuis le jour béni du 14 janvier 2011. Rabaâ Ben Achour, Abdelkéfi et Mohamed Bouamoud n'ont pas résisté à l'envie de dénoncer les graves et intolérables dérives observées au niveau de la pratique de la foi. Une foi vidée de sa substance et qui apparaît comme dénuée de spiritualité. Une foi qui édicte des règles de bonne conduite islamique et des interdits absurdes et saugrenus, qui se réduit tout simplement à une tenue vestimentaire des plus loufoques, parce que loin de refléter les valeurs morales et fondamentales qui ont fait depuis des siècles la grandeur de l'Islam. Il s'agit là d'un plaidoyer éloquent et émouvant pour une approche rationnelle du religieux. Or, ces deux ouvrages qui font passer de la virtualité à la réalité une fiction pourtant bien ficelée et qui a bien existé n'ont pas été récompensés à la grande insatisfaction des lecteurs qui ont largement adhéré à une analyse collant de si près à la réalité. Instants de vie de Jélila Hafsia n'a pas été jugé digne du palmarès. Cette chronique édifiante d'instants fugitifs du passé, si intenses et si présents, se présente comme une succession d'événements culturels qui ont eu lieu à un moment donné de l'histoire de la nation, méritait amplement un clin d'œil de la part du Comar. Hélas, il n'en fut rien, à la grande déception des oubliés, les infortunés récipiendaires du prestigieux prix. L'amertume devait être à la mesure des espoirs et des rêves placés et nourris dans cette aventure. Serait-ce que le jury aurait placé haut la barre et se serait fixé des critères de sélection excessivement sévères ? A moins que la production romanesque en langue arabe n'ait surpassé en puissance celle dans la langue de Molière. Toujours est-il qu'on n'est pas loin de se rallier à l'idée développée chez un autre candidat malheureux, Jamel Ghannouchi, avec La Touche (voir La Presse du mardi 09/11/2010) qui conseille aux zonards de la périphérie de voir à travers le prisme de la science-fiction et de son ancêtre, l'utopie, le moyen de se doter d'une énergie qui s'apparenterait au génie. Ainsi, on aurait moins de regret, si le palmarès venait à nous bouder.