Par Soufiane BEN farhat Les citoyens veulent savoir. Hormis une dépêche orpheline, c'est le flou intégral. L'évasion massive, avant-hier, de détenus en divers endroits de la République intrigue. Plus de 800 détenus se sont évadés vendredi des prisons de Kasserine et de Gafsa, dans la région centre-ouest. Des tentatives d'évasion ont également eu lieu à Messadine, Monastir et Sfax. Des centaines de kilomètres séparent les lieux d'évasion. Pourtant, le modus operandi est le même. Les évasions sont survenues à la faveur d'incendies survenus dans les prisons. Dans la prison de Kasserine, un incendie s'est déclaré dans deux cellules. Qui, quoi, où, quand et pourquoi ? Les circonstances demeurent "indéterminées" selon la dépêche. A Gafsa, 300 détenus ont pris la clé des champs. Là aussi, on parle d'un incendie dans une cellule. Cependant, précise-t-on, l'évasion a été favorisée par une grève du personnel de l'établissement carcéral. Des unités de l'armée et de la police ont entrepris des opérations de ratissage pour rechercher les fugitifs. Aux dernières nouvelles, 35 d'entre eux auraient été arrêtés. Souvenons-nous. La question de l'évasion, en janvier, de quelque 11.000 détenus est toujours en suspens. Des dizaines de prisonniers y ont laissé la peau, d'une manière ou d'une autre. On nous avait promis, solennellement, une enquête minutieuse et exhaustive. Et que ses conclusions seraient publiées. Les mois passent. On attend toujours. Le ministère de la Justice n'a rien publié à propos des évasions d'avant-hier. Rien n'a filtré sur les écrans télé, hormis quelques "lambeaux" de témoignages. Aucun plateau télé ne s'est penché sur cette question. Et pour bien peaufiner le comble de l'histoire, un débat, organisé le soir même sur la chaîne TV nationale, traitait de la liberté de la presse. De quoi se dire, la liberté c'est comme la culture, moins en en a, plus on en parle. Tout le monde n'a qu'un mot à la bouche : liberté de la presse. Dans les faits, à la première épreuve, le discours ambiant se retrouve en porte-à-faux de cette liberté. Idem des violences survenues il y a quelques jours à Siliana. On n'en a guère informé le large public sur leur vraie dimension, leur soubassement et leur bilan. C'est pour le moins incongru, sinon simplement inadmissible. Des équipes de journalistes dépêchées sur les lieux ont eu du mal à enquêter. Les murailles mêmes qui ont laissé passer les centaines de fuyards se sont sourdement refermées, cadenassées. Après la Révolution et la veille de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, c'est pour le moins étonnant. On tire le diable par la queue. L'incurie rejoint parfois le mensonge. Et le mensonge a plusieurs déclinaisons. L'une d'elles s'appelle "mensonge par omission". Nous sommes au cœur de cette question ténébreuse. Il aurait fallu créer des mécanismes de gestion informative de crise, c'est-à-dire des structures et dynamiques de communication de crise. Cela relève des urgences. Informer, c'est en partie sécuriser. Autrement, les rumeurs et les assertions tendancieuses n'en finissent guère leur pervers travail de sape et d'intoxication des consciences communes. Pourtant, cela saute aux yeux des aveugles. Le timing et le modus operandi des évasions interpellent des interrogations sérieuses. Rien ne sert de faire comme si de rien n'était, alors que Monsieur tout le monde sait tout, ou presque. En matière de médias, quels que soient les efforts consentis, le bilan demeure mitigé. Jusqu'à nouvel ordre, on continue de bétonner, de tergiverser, de louvoyer et de naviguer à reculons. C'est aux antipodes de notre glorieuse Révolution. Les effets pervers de pareilles attitudes tissent les subtiles ficelles de l'artifice et des illusions. On ne les mérite guère. La Tunisie, son valeureux peuple, n'en ont cure.