«Certaines parties ne souhaitent pas la stabilité de la Tunisie, dit le dernier communiqué du ministère de l'Intérieur. Tous les efforts seront déployés pour mettre en échec leurs plans…». A la bonne heure. Les troubles reprenaient de plus belle ces derniers jours. On attendait des explications de la part des responsables de la sûreté nationale. On espérait une réaction. Voilà qui est fait. Sommes-nous rassurés pour autant? Tout d'abord, la thèse du «complot anti-révolutionnaire» n'est pas nouvelle. C'était la thèse de tout le monde déjà au lendemain du 14 janvier. Ce qu'il y a, c'est qu'elle est officiellement confirmée aujourd'hui. Pour le reste, c'est une thèse qui n'aura pas bougé d'un iota. Il lui manque toujours la liste des comploteurs. Depuis plus de trois mois, des centaines de casseurs «infiltrés» sont interrogés par la police. Mais pas un seul nom de commanditaire, pas la moindre trace d'une filière. Opacité. Opacité, encore, autour des mesures à prendre. Ces mesures seront appliquées «dans le respect des exigences de la nouvelle étape», ajoute le communiqué. Honneur à la révolution démocratique de vouloir répondre à la violence par le droit. Le problème, toutefois, est que la majorité de nos concitoyens, préférerait, en l'espèce, qu'on fasse plutôt preuve d'équité. Les casseurs «infiltrés» et les comploteurs embusqués qui les dirigent et les financent ne veulent, précisément, pas d'une Tunisie démocratique et d'un Etat de droit. Instinctivement, par simple bon sens, les Tunisiens ne comprennent pas qu'ils profitent et des «inconvénients» de la révolution et des avantages de la démocratie. Provisoire pour définitif Ce n'est pas inviter à la répression, ce n'est pas réclamer des potences. C'est juste suggérer aux autorités policières que quand elles parlent de «nouvelle étape», elles se trompent peut être de situation. Pour le moment encore, on vit une transition révolutionnaire. Situation exceptionnelle qui exige, au contraire, des mesures d'exception. Pour le moment encore le pays a besoin de rétablir l'ordre et de défendre la révolution contre ses pires ennemis. C'est cela qui serait équitable à ses yeux, et non point se réfugier, comme on le fait, derrière des règles de sécurité et de justice, dont le temps est loin encore d'être venu. Opacité, de même, au sujet de la Constituante. Le haut comité (dont le nom confine au paragraphe) et le gouvernement provisoire bloquent sur les candidatures de l'ex-RCD. Arguments contre arguments. A vrai dire, il n'importe. Les élections approchent et on perd du temps. On perd surtout le fil du consensus qui paraissait s'établir entre les élites politiques. Ce qui semblait convenu au départ, c'était de s'entendre sur les bases constitutionnelles de la démocratie. Ce qui ressort de plus d'un mois de débats, ce sont des calculs étriqués de partis qui se positionnement dans la perspective, seule, de conquérir le pouvoir. Devant la surenchère générale, on finit par ne plus comprendre : si le vote du 24 juillet 2011 sera un vote pour la Constituante, pour la rédaction d'une nouvelle Constitution, ou pour élire les futurs «maîtres du pays». Que l'on sache, l'Assemblée constituante sera elle même une instance provisoire. Légitime par le suffrage, mais provisoire. Le gouvernement et le président qui en découleront seront, eux aussi, provisoires. Les premières grandes et vraies élections n'auront lieu que lorsque la nouvelle Constitution sera prête. D'ou vient alors que les partis politiques «s'étripent» de la sorte, et avant terme ? Est-ce à dire que se faire élire à l'Assemblée constituante et faire partie, éventuellement, d'un gouvernement provisoire suffit, dans leur intention, à s'approprier durablement un pouvoir? Et puis pourquoi des membres de ces partis siègent-ils dans le haut comité et préparent-ils, ce faisant, leurs candidatures à la Constituante ? Ne l'interdisent-ils pas à M. Foued Mebazaâ, à M. Béji Caïed Essebsi et à ses ministres, par souci de «non cumul» ? Flou partout. De gros risques surtout. Nombre de médias cherchent à en avertir l'opinion. C'est une bonne chose. Car l'impression, nette, est qu'il y a, de plus en plus, cassure entre la politique et le public. Et c'est une cassure, en toute apparence délibérée. Vraisemblablement, la culture du pouvoir a pris le dessus sur la culture patriotique. La plus grosse crainte est, qu'après avoir réussi sa révolution, ce pays n'ait, cette fois-ci, maille à partir avec une multitude de Ben Ali.