Journée mondiale du théâtre (27 mars): quand on entend dire que notre théâtre va mieux, on acquiesce forcément. La création s'active, la critique et les scènes s'animent, le public reprend goût. Une question, une seule: où placer les «one-man-show» (ou ce que l'on dit tels) dans tout cela ? Mille excuses, mais est-on sûr que c'est bien de théâtre qu'il s'agit ? Et cela mérite-t-il ce boucan ? Notre avis ? Une forme de spectacle qui fait vague et vogue. C'est tout. Ne reflétant aucune tradition, aucun courant précis. Tels qu'ils pullulent en ce moment, «les one-man-show» n'expriment et n'exprimeront jamais d'autre que le trivial, le brut, l'immédiat. «Un minima doxa». On ne va pas épiloguer encore sur les risques de confondre arts et phénomènes de société. On rappellera seulement aux fondamentaux du 4e art : que là, rien ne se construit en bavardant, tout est écriture, dramaturgie, direction, conception, élaboration. Les «one man» qu'on nous propose ont beau se parer de l'étiquette de «pamphlet satirique», de «thérapie comique», dans le jeu, au concret, ce ne sont qu'impros et propos à tout va. Au pire : verbiage. Au mieux : intuition. اa ne mène nulle part. Si cela ne conduit à rien. Regarder au pire aussi ! Ecoutons Isocrate (orateur athénien, 436-338 avant J.C). «Il est utile en toute chose et surtout pour la parole d'apprécier non la chance mais l'exercice. Ces gens à qui la nature ou le hasard ont donné la facilité de la parole ne visent pas au bien, mais s'en servent d'ordinaire à la légère…» Isocrate désignait ses «pseudo-collègues», les sophistes, les tribuns démagogues. L'histoire connaît des prototypes plus récents. On sait vers quelles tragédies leur naturel loquace a entraîné le monde. Nos «one-man-showistes» peuvent s'y apparenter. Oui! D'autant qu'en apparence, ils sont inoffensifs. Ils traitent (qu'ils disent) du «quotidien». «Pire» : ils sont drôles et les publics aiment ça. Isocrate dit : «Ces gens ne visent pas au bien». Il y a donc danger. Où ? précisément dans le fait que, forts de leur séduction, ils n'ont nul souci de raisonnement, d'examen, d'utilité. Pas d'archétypes, d'emblèmes, de symboles comme chez Molière, Marivaux, ou dans la «Commedia», mais des amuseurs de fortune qui profitent du «filon». On a des illustrations en tête. Quelques-unes de choquantes. Le rire guérit, dit la médecine. Et Erasme, très sérieusement, a écrit L'éloge de la folie. Mais un acteur inculte, fût-il charmeur, fût-il drôle, peut donner tort à des populations entières. On célèbre le théâtre, soit. On se réjouit de voir plus de pièces, de lire de belles critiques: il n'y a pas que consigner le meilleur qui reforme les arts, il faut surtout les débarrasser du pire. Comble de rhétorique Eric Zemour entonne : «La délinquance est arabe et noire». Un moment, on croit au tollé, à la levée des boucliers. Licra, Mrap, Le Figaro, TF1 s'en mêlent. On croit que là-bas, comme on nous en fait la leçon, l'anti-racisme égal pour tous: Noirs, juifs, Arabes, Indiens, Arméniens et… Erreur : Zemour rédige une lettre d'excuse et cela suffit à tout. Des voix «militantes» ont même pris sa défense (Robert Menard ?, le procureur général Bigler ?). Robert Menard dit : «Marre de ces minorités qui font tabou de tout» (sic !). Pas un mot, soit dit en passant, de la hargne des organisations juives contre Garaudy qu'on laisse crever de faim. Le patron de la Licra nous sort, lui, un petit chef-d'œuvre: «Tout de même — s'écrie-t-il — Zemour n'est ni Le Pen, ni Dieudonné !». Et pourquoi donc ? Parce que Dieudonné parle d'Israël et que Zemour ne fait qu'insulter les Arabes et les Noirs. Idem pour Hillary Clinton, l'autre jour, devant les assises de l'AIPAC (lobby juif américain) : Normalement, on l'a déléguée pour réprouver les nouvelles implantations dans les Territoires palestiniens occupés. Erreur encore : la voilà qui s'enfonce dans un long et vague discours sur (on cite) «l'éthique, le démographique et le stratégique dans la sécurité future d'Israël». Basculement ! On devait interpeller Nétanyahu sur des faits concrets (des colonies effectives), en lieu et place, on a péroré sur les risques à long terme, d'une «démographie palestinienne galopante» (!!), d'un «favoritisme américain moins tempéré», et (comble du comble!) de «l'acquisition improbable mais forcément envisageable par l'Iran et les pays arabes de missiles à plus longue portée…». La rhétorique sonne bien, qu'importe le droit, la justice. Isocrate à tout compris.