Branle-bas de combat dans les couloirs d'une entreprise où une réunion a été prévue pour recruter avant la fin de la saison l'entraîneur de l'équipe senior. Compte tenu de l'importance de cette réunion, seul le «Comité restreint» a été informé. A l'heure dite, une demi- douzaine de personnes débarquent de leurs voitures. Ils rejoignent incognito la salle de réunion en prenant soin de regarder par-dessus leurs épaules pour ne pas éveiller les soupçons. Le Comité en place, président et vice-président compris, apprendront les décisions prises, à temps, par les journaux. Consignes ont été en effet données, pour que l'on soit le plus discret possible. Il ne fallait pas ébruiter les choses. Les membres du comité directeur pourraient dévoiler le secret de cette réunion de crise, et ce sera des problèmes supplémentaires à résoudre. Déjà qu'il n'y a plus un millime, et que les banques refusent d'avancer des fonds. Les droits TV qui tardent, ceux du Promosport qui se font attendre, les dons et subventions dont on ne sait plus rien... C'est la poisse qui s'en mêle en cette fin de parcours. Le seul moyen de sauver la situation, c'est bien de limoger l'entraîneur en place (une cérémonie d'adieu lui sera organisée même si la caisse est vide. Les petits fours ne coûtent pas cher et on aura les boissons sous forme de publicité) et de recruter un nouveau technicien. Ce sera temporaire, mais suffisant pour bénéficier d'une période de grâce dont tout le monde a besoin pour souffler. Et comme ni la fédération ni la tutelle, ne semblent décidés à mettre de l'ordre dans ce professionnalisme, rien ne risque de changer la saison prochaine. Ce n'est pas l'élection qui résoudra les problèmes de fond. On pourra continuer à naviguer à vue, tout en étant sûr que le clair-obscur qui règne a du bon temps devant lui. Une fois la saison terminée, on jouera à l'habituelle tragi-comédie «du président qui ne veut plus de la présidence et de la démission pour raisons personnelles». En attendant, chacun s'arrangera pour commenter les résultats à sa manière. Chez soi. Dommage que le couvre-feu ait été levé. Cela aurait cantonné tous les râleurs chez eux. D'ailleurs, le président de cette importante séance, a été déclaré «en voyage». Quant aux journalistes, il sera toujours temps de les informer. Une petite fuite par-ci, un lapsus voulu et bien calculé par-là, suffiront pour les mettre sur la piste. Une fois la porte de la salle de réunion close, on prie la secrétaire de ne plus passer de communication. Au bout de l'immense table, se tiennent deux personnes avec deux lourdes valises devant eux. Le président de séance prend la parole: - Comme je vous l'ai dit hier au téléphone, il est urgent de trouver un entraîneur pour la prochaine saison. Nous avons l'honneur d'avoir parmi nous deux des meilleurs agents de la place. Ils ont accepté de venir en même temps par amour pour notre club. Ils ne veulent que se rendre utiles. Je propose un tour de table pour fixer le profil de l'entraîneur que chacun de nous voit aux commandes de notre équipe. - Moi je pense avant tout qu'un bon entraîneur se recrute parmi ceux qui ont donné leurs preuves en qualité de consultant à la télé. C'est très important. Lorsqu'on sait parler à des millions de personnes, on peut sans aucun doute tenir en main les joueurs les plus difficiles. - Pour ce qui me concerne, j'avoue que j'ai été impressionné par un article qui a paru dans un périodique important et qui annonce le «retour des sorciers blancs». Et tenez-vous bien, Marchand est parmi eux. Donc, je demande tout simplement le recrutement d'un sorcier, puisque c'est possible. -Moi, je suis pour un «nom». Il faut ce qu'il faut. - Mais un «nom» ne suffit pas, et nous risquons de le limoger au bout de deux ou trois rencontres. Cela s'est vu cette saison. -Je ne vous cache pas que notre problème c'est toujours l'attaque. L'entraîneur doit savoir faire marquer des buts. -C'est bien beau ce que vous dites-là, mais pourquoi, avant tout, ne pas fixer l'enveloppe dont nous disposons? - Vous avez raison, mais, cela ne fait pas partie de l'ordre du jour. En tous les cas, on s'arrangera pour payer l'entraîneur et comme d'habitude, on fera patienter les joueurs et le reste du staff. Comme ce sera au prochain comité de payer, il n'y a pas de problèmes majeurs à se faire. Disons que nous pouvons rester dans les limites de la mise de cette saison. -Si je peux me permettre d'insister sur le fait que l'entraîneur doit bien connaître le football tunisien et... -Alors il n'y a pas mieux que Michel... -Oui, c'est une bonne idée. Il a entraîné une dizaine de clubs tunisiens. Il n'a été limogé que neuf fois. Ce serait l'idéal de le faire revenir. Il connaît tout le territoire de la République et il n'a même pas besoin d'accompagnateur. Il connaît tous les hôtels du pays. - Très bien, nous approchons du but. Voyons si nos deux invités pourraient peut-être nous proposer quelque chose dans cet ordre de grandeur? - Si vous voulez quelque chose de bien, vous devez vous attendre à une hausse de salaire de prés de cinquante pour cent par rapport à l'année dernière. Vous n'aurez donc pas de sorcier. Que pense mon collègue? -Je ne vous cache pas que l'enveloppe que vous proposez, ne suffirait pas à recruter un entraîneur formé à Kassar Saïd, au Kef ou à Sfax. De l'autre bout de la salle, un des présents lève le doigt et prend la parole. - Laissez-moi vous dire que la plupart des équipes les mieux classées pour le moment ,sont dirigées par les entraîneurs formés à Kassar Saïd, au Kef ou à Sfax et on les paie en dinars. Il me semble que cela n'a rien de sorcier!