Le Kef, haut vestige de la Tunisie qui laisse sur les sillages de ses visiteurs un souvenir toujours présent, où les impressions deviennent stigmates. Largement convoitée par divers hôtes annuellemet qui passent par la ville en automne, en hiver, au printemps et en été, elle reste cependant infiniment et spécialement désirée pendant les «24 heures de théâtre non-stop», événement organisé sur les lieux depuis maintenant une dizaine d'années. Lancé par Lassaâd Ben Abdallah, artiste, homme de théâtre, actuel directeur du Festival de Hammamet et ex-directeur du Centre national des arts dramatiques et scéniques du Kef (Cnads), il reste à l'origine idéelle d'une telle manifestation. Depuis son passage, les Keffois célèbrent le 27 mars de chaque année, la Journée mondiale du théâtre, et accueillent sur leur territoire et dans leur fief, cette foulée culturelle et artistique, dédiée avant tout au 4e art. Déploiements, défilés, démonstrations et apparitions de créativités, ce festival dans le plein sens du terme, reste présent grâce aux initiatives du centre, qui s'efforce de garder un programme franc, déterminé, courageux et audacieux. Afin de faire la différence, il permet un brassage d'initiatives et une multitude de choix artistiques, de surcroît sur une scène et une population encore conservatrices comme celle du Kef. Moëz Hamza, l'actuel directeur du centre, précise que l'événement «24 heures de théâtre non-stop», unique en son genre à l'échelle mondiale, reste un vecteur de développement pour le théâtre tunisien, et un espace de découverte pour les profanes. Tout en étant propice à l'accueil de jeunes diplômés de théâtre, pour qui il devient une possible contrée d'expression, eux, qui le reste du temps sont complètement ignorés par les diktats du système. Justement, nous touchons ici une problématique relativement soucieuse, à savoir le manque de programmation annuelle, qui laisse le centre, et par là même le Kef, partiellement déserts de tout dessein culturel, spécifiquement en matière de projets théâtrales. Le résultat : le public, pas assez éduqué, se retrouve pendant les «24 heures de théâtre non-stop», emparé par multiples aphorismes eurythmiques, qu'ils ne comprennent pas toujours. Comme pour un homme que l'on a longtemps laissé affamé, et à qui l'on présente d'un seul coup un surplus de nourriture et de qualité, en l'incitant à consommer, il se retrouve avec une indigestion et peut donc réagir agressivement, habité par une soudaine incompréhension. Par ailleurs, le théâtre est un genre scénique particulier où un seul rideau départage les planches, le plateau et le public. Il est l'art de la représentation individuelle par excellence, celle d'un être, d'un acte, d'un drame, d'une émotion, beaucoup plus un état de vie. Aujourd'hui, à l'ère actuelle où les pratiques artistiques se veulent pluridisciplinaires, le théâtre ne déroge pas à la règle et se voit investi par toutes sortes de «mimesis» et d'iconographies. Il devient spectacle vivant, performance, cirque, danse contemporaine…. Avec ou sans texte, dans un temps et un espace limités, l'interprète seul ou accompagné, est toujours mis à nu devant son audience pour jouer d'âme et d'intelligence. Depuis l'apogée d'une écriture moderne dans les dialectiques théâtrales, ces réalités sont exacerbées et l'infime barrière entre l'artiste et son auditoire devient encore plus infime. Les réactions «exagérées» du public, dont nous parlions, rares, mais tout de même existantes, sont alors un véritable coup de fouet pour l'auteur en représentation. Les «24 heures de théâtre non-stop» n'y ont pas échappé et certaines productions récentes ont en fait les frais. Et ce, malgré une programmation et une organisation de qualité, commencées le 25 mars dernier avec une conférence au Cnads, autour des «Jeunes créateurs et les défis du théâtre contemporain», suivis par des participations nationales et étrangères multiformes, comme l'Egypte, le Maroc, le Soudan, le Liban, le Portugal, la Grèce et le Brésil, des concerts de musique et des pièces de danse hétéroclites. Finalement, ces quelques agitations et contrariétés n'ont pas réussi à gâcher le plaisir aux adeptes et aux fidèles de cette manifestation que nous continuerons à soutenir et à encourager tant que le théâtre sera vivant, c'est-à-dire «ad vitam eternam». Il n'y a qu'à entendre les voix saintes et souterraines de Sidi Bou Makhlouf, essence et esprit de la ville keffoise qui, du haut de son mausolée, diffuse pendant cette période privilégiée des «24h», une âme, une énergie, une chanson qui accompagne les invités et les habitants du Kef de lieu en lieu.