Par Souad SAYED Chaque citoyen, femme ou homme, est libre de choisir son lieu de résidence et son mode de vie. Posons la problématique d'emblée et clairement : autant le droit d'immigrer doit être et rester un droit fondamental de l'homme et du citoyen, autant il est choquant qu'un pays organise son propre appauvrissement. En effet, jusqu'à une date récente, l'appauvrissement des ressources humaines de notre pays a été toléré, sinon organisé et, au mieux, nous avons observé passivement la dégradation de la situation. Ingénieurs des grandes écoles, chercheurs, médecins… aucun domaine n'est épargné par la fuite des cerveaux. Des élèves d'écoles préparatoires, des étudiants de facultés prestigieuses se sont mis en grève après la révolution pour garder le droit à l'immigration au stade d'étudiant ! Bien évidemment, et c'est de bonne guerre, ils présentent ce problème à l'opinion publique comme un problème de formation complémentaire, en omettant de dire que la plupart d'entres eux ne reviennent jamais travailler en Tunisie ! A qui la faute ? L'esprit d'ouverture de la Tunisie et des Tunisiens vers l'étranger a été probablement la force de notre nation. De par notre position géographique et notre histoire, qui en est la conséquence au moins partielle, notre civilisation s'est enrichie au contact des autres cultures et, jusqu'à une date récente, c'était une relation gagnant-gagnant. Conscients de ce fait, les responsables en place ont, depuis l'indépendance et même avant, œuvré pour faire de la coopération étrangère un axe de la stratégie de développement du pays. Malheureusement, dans ce domaine comme dans d'autres, la glissade des 20 dernières années a été fatale. L'ancien régime a progressivement perverti cette manne pour en faire un moyen de se débarrasser des compétences qu'il ne voulait ou ne pouvait pas intégrer dans le système. Soit par incompétence soit par manque de volonté, les dirigeants ont poussé notre élite à partir. L'habitude de s'expatrier définitivement est devenue la règle dans certains domaines. Le contraire est même perçu comme un échec ou une injustice. Comment interpréter le fait que, durant deux décennies, les responsables en place ont passivement regardé le départ de notre élite en formation vers d'autres horizons ? Pourquoi dans les années 60 ou 70, ou même 80, et avec des revenus bien plus maigres que ceux offerts aujourd'hui, nos cadres revenaient enrichir le pays, dans le secteur public ou privé. Aujourd'hui, ces mêmes profils, au stade d'étudiants, n'envisagent même pas de s'intégrer dans le système. Pire, toute l'énergie des familles et des étudiants est dirigée vers la recherche d'un point de chute à l'étranger. On pourrait aisément l'admettre d'un individu, mais pas d'un système. Nous avons organisé la fuite de nos éléments les plus prometteurs, parfois au moment même où ils devenaient productifs. Au lieu de chercher des solutions pour les garder, les responsables de l'ancien système se sont vantés, chaque fois qu'un cadre tunisien partait s'installer à l'étranger ! Les pays dits développés ont bien compris où se trouvait la faille et ils l'ont exploitée. Quelle est la plus grande richesse d'une nation, si ce ne sont ses ressources humaines ? Certains dirigeants occidentaux ont même élaboré des théories sur ce sujet. Ils ne se privent pas de promouvoir la fuite des cerveaux des pays en développement, tout en se positionnant, d'ailleurs, auprès de leurs électeurs comme les remparts contre l'immigration. Ils puisent sans retenue dans nos systèmes et prélèvent la crème du produit du système éducatif des pays en développement sans contrepartie. Evidemment, et pour assurer un tant soit peu le fonctionnement de nos systèmes, nous sommes obligés de recruter à prix d'or des compétences étrangères nettement moins qualifiées que celles que nous avons regardé passivement partir. Tant que nous ne nous rendons pas compte que l'immigration choisie est une forme de concurrence déloyale, nous ne pourrons pas prendre les bonnes décisions. Tout en préservant la liberté de mouvement de tous, notre système ne doit plus accepter, pour ne pas dire organiser, le départ massif de nos jeunes cadres. Bien sûr, ce n'est que la partie visible d'un énorme iceberg, mais un Etat qui se respecte doit tout mettre en œuvre pour garder son élite, et non organiser la fuite des compétences encore en formation.