Par Soufiane Ben Farhat Les désaccords se suivent et ne se ressemblent pas. Aux dernières nouvelles, les échanges pointus ont repris au sein du Conseil de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la transition démocratique et la réforme politique. Principale nouvelle pomme de discorde, le décret-loi portant organisation des partis politiques. Les nouveaux automatismes sont aux aguets. D'aucuns sont pour la promulgation d'un tel texte. D'autres sont contre. Le projet nourrit tous les antagonismes explicites et les non-dits. Comportant 31 articles, il embrasse tant la création des partis politiques que le mode de leur gestion et les modalités de leur financement. En toile de fond, les élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre prochain. Pour certains, il est nécessaire de clarifier les règles du jeu. D'autres préfèrent cultiver le flou artistique. A entendre quelques protagonistes du débat, les partis politiques tunisiens seraient les principaux acteurs des élections de la Constituante. Ils doivent en conséquence avoir la qualité pour agir en vue des élections. Laquelle qualité n'intervient qu'à la faveur du décret-loi sur les partis, qui en fixe l'identité politique et les attributs juridiques. En fait, il y a bien confusion en la matière. Une confusion officielle à vrai dire. Souvenons-nous : en mars dernier, cinq partis s'étaient vu refuser le visa de constituer un parti politique par le ministère de l'Intérieur dont le parti Ettahrir. Le ministère s'était basé sur l'article 3 de la loi portant organisation des partis politiques du 3 mai 1988. Et l'article 3 est clair‑: "Un parti politique ne peut s'appuyer fondamentalement dans ses principes, activités et programmes sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région". Le parti Ettahrir avait fait valoir alors que cette loi sur les partis politiques ne serait plus valable après la suspension de la Constitution. Le débat avait été publiquement amorcé mais guère réellement consommé. Auparavant, le 6 février, M. Farhat Rajhi, alors ministre de l'Intérieur, avait décidé de suspendre les activités du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et toute réunion ou tout rassemblement de ses adhérents, et de fermer l'ensemble des locaux qui appartiennent à ce parti ou dont il assure la gestion. Il s'était appuyé sur les articles 2, 18 et 19 de la loi organique n° 32 de l'année 1988 relative à l'organisation des partis politiques. Quelque temps après, le même ministre de l'Intérieur avait déposé une demande en dissolution du RCD devant le Tribunal de première instance de Tunis en vertu de l'article 19 de ladite loi. Une demande qui avait abouti. Et si, jusqu'aujourd'hui, 95 partis politiques ont été reconnus par le ministère de l'Intérieur, c'est bien en vertu de cette loi. Toutefois, le ministère de l'Intérieur a dérogé à maintes reprises à cette même loi, notamment à l'alinéa 1 de l'article 7 qui stipule : "Les fondateurs et dirigeants d'un parti politique doivent être exclusivement de nationalité tunisienne depuis dix ans au moins". Des binationaux dirigent en fait un certain nombre de partis reconnus. Cette ambivalence, voire ambiguïté, dans l'application de la loi sur les partis politiques nourrit toutes les préventions et sous-tend quelques clivages. Ici, on convient que ladite loi est suspendue de fait et qu'il faille combler le vide de toute urgence. D'autres estiment que l'élaboration d'une nouvelle loi sur les partis politiques relève des prérogatives de la prochaine Assemblée constituante. Entre-temps, la loi de 1988 serait toujours en vigueur. Ajoutons-y les questions relatives au financement des partis politiques et nous saisissons l'ampleur de la confusion. Les dispositions en vigueur — à défaut d'avoir été formellement amendées, abolies ou abrogées — existent. Mais la pratique des uns et des autres en font fi comme du dernier de leurs soucis. Bref, c'est le flou intégral, ou presque. Les acteurs politiques voient émerger dès lors une nouvelle donne‑: les partis de la discorde.