Beaucoup de spécialistes considèrent Mounira El Mahdia comme étant l'ancêtre d'Om Kalthoum, une voix non moins enivrante et forte que la diva d'Orient. Pourtant, beaucoup plus que «Thouma», elle mena une longue carrière au théâtre. Tout commença dans la ville de Zakazik où Mounira El Mahdia animait les concerts privés et les soirées. Par la suite, elle émigre au Caire où le public découvre la chanteuse et danseuse dans les cafés d'Al Azbakia. L'été 1915, Aziz Aïd a pris l'habitude de la présenter durant les entractes des représentations de sa troupe théâtrale spécialisée dans le genre du vaudeville. Cette troupe comprenait de grandes figures des arts : Néjib Rihani, Oustouphane Rosty, Rose El Youssef, Hassen Fayek. Le théâtre Printania était la scène favorite de la troupe. Mounira El Mahdia y chantait des poèmes du cheikh Salama Hijazi In konta fil jaïchi (Si tu étais dans l'armée) Elle finit par attirer le grand public, ce qui la convainquit de son énorme talent. Elle se sépara alors de la «Troupe Aziz Aïd». Ce départ a créé une forte désaffection dont allait pâtir cette troupe, avec pour conséquence sa dissolution et la migration de son directeur vers la Troupe Akacha. Une Carmen envoûtante Yeux bleus, cheveux châtains, élégante et aux traits ravissants, Mounira a été gâtée par la nature avec également une voix suave. George Abiadh avait pour habitude de mettre à profit son jour de repos hebdomadaire pour aller voir dans d'autres théâtres. Compte tenu de son charisme, on le consultait sur telle voix ou tel comédien. Il avait une grande estime, en cette période de la Première Guerre mondiale, pour Mounira El Mahdia, rien que parce qu'elle est la première dame d'Egypte à attaquer le créneau du théâtre et du chant. Elle a joué dans «Carmen», un opéra comique de Cheïkh Salama Hijazi. Elle y incarne le rôle de Carmen, à côté de Abdelaziz Khalil (Don Juan). Le succès a été d'autant plus fulgurant que le musicien El Kholoi a su marier la musique de Bizet et celle arabe. Par la suite, elle joue dans «Thayès» dont le thème philosophique a quelque peu déçu le grand public. Celui-ci va au théâtre pour goûter aux chants enivrants d'El Mahdia, et non pour se triturer les méninges dans de vagues considérations philosophiques. Mounira El Mahdia deviendra par la suite «Soltanatou Attarab» (La sultane du tarab). Fin 1926, elle présentera la pièce «Cléopâtre» et «Marc Antoine», composée au début par Sayed Dérouiche, puis par Mohamed Abdelwaheb, sur recommandations du Prince des poètes, Ahmed Chawky Bey. Quoiqu'elle ait obtenu le prix d'excellence au concours du chant dramatique organisé en 1926 par le ministère égyptien des Travaux publics (il n'y avait pas alors de ministère de la Culture). Une nouvelle star était née, Mohamed Abdelwaheb, dont la voix convient beaucoup mieux à ce genre de musique. D'ailleurs, notre grande artiste prendra un long et interminable recul de vingt ans où elle a rompu avec les milieux artistiques. Brusquement, en mai 1948, elle loua la salle de Badia Massabni à la place de l'opéra et se remit à chanter. Mais elle n'y trouva que soûlards et fêtards invétérés alors qu'elle entamait ses concerts en récitant le Coran. Après avoir rompu avec le théâtre, Mounira El Mahdia joue au cinéma. Mais elle n'a joué qu'un seul film: Al ghandoura avec Ahmed Alam, Bichara Wakim et Abbès Fares. C'était en 1935. Elle s'arrêtera là, sur cette sensation de réussite. Zakia Hassen, le vrai nom de Mounira El Mahdia, née en 1884, a reçu, de la part de la Révolution de 1952, l'Ordre du mérite. Malheureusement, son adresse n'était pas connue, ce qui fit qu'elle ne reçoive pas directement ces insignes des mains du Président égyptien, mais plus tard à son domicile des mains d'un émissaire de la présidence. Le 11 mars 1965, dans la discrétion la plus totale, la Sultane du tarab nous a quittés à l'âge de 81 ans. Dans les années 1970, un film intitulé Soltanatou attarab a raconté la vie de Mounira El Mahdia dont le personnage a été joué par Foukïa Mahmoud Ahmed Nada, alias Chérifa Fadhel. C'était une diva avant l'heure, une «Thouma» des temps héroïques qui aurait pu bénéficier en d'autres temps du statut d'incontestable reine du chant arabe.