Une nuit noire, un tonnerre d'applaudissements fend le silence, debout un homme crie : «Encore une pour la route». Le spectacle vient de prendre fin après plus d'une heure. Bon caractère, Dorsaf Hamdani salue le public apparemment acquis à son art, son sourire illumine la salle, des voix s'élèvent pour demander Mahla layali Echbilia (Les soirées de Séville). Un geste à Mohamed Lassoued, violoniste et c'est reparti avec allégresse vers l'Espagne andalouse, du rythme, des têtes qui se dandinent. Elle pousse la chansonnette appuyée par le public chaleureux qui entonne le refrain. Que du bonheur ! dit-on de nos jours. Deuxième soirée à Dar Cherif à Djerba dans le cadre du projet Mélos, ce mot venu du grec exprime la mélodie dans son acception savante et sophistiquée, nous apprend le luthiste grec Kiriakos. . Belle surprise pour ceux qui ne connaissent pas la chanteuse, une maîtrise de la voix qui dénote d'un grand travail. «Effectivement, je travaille beaucoup, les rencontres fréquentes avec d'autres artistes grecs, espagnols ou français m'aident à affiner ma voix, ce sont des expériences stimulantes». Dans le cadre du projet Mélos, elle croise ses chants avec d'autres formes de musique, elle a notamment chanté à Thessalonique en Grèce,en off, elle nous chante deux vers du poète persan Hafiz, elle voyage, d'une résidence à une autre, absorbe des musiques, apprend, répète et, en un mot, à force de chanter, elle finit par trouver ce qu'elle cherche : un ton. Le programme de ce vendredi, bien préparé, navigue dans les mers de l'Orient, part en Andalousie, rencontre une diva, une autre idole et tout est à l'avenant : une wasla, un mouachah, un mawal d'Om Khalthoum, Saliha évidemment, suit El ward Gamil, tout en chuchotement, des roucoulements, Asmahan (Imta ha taârif imta), des effluves l'amour, encore de l'amour et des «larmes sonores». Sobre, elle nous sert des chansons connues qu'elle soumet au rythme de sa voix. un constat manifeste, les mots sont exprimés avec aisance, sans forcer la respiration, elle chante comme l'eau qui coule, pas de trémolos gratuits, elle évite la grandiloquence et ça prend. Asmahan, Imta ha tâarf, tout en légèreté, s'y dévoile un univers poignant et pourtant dépouillé, Dorsaf retenue, s'empare des phrases, les étreint sans énergie supplémentaire qui mène parfois à la prise de risque, sans caprice exagéré qui conduit à la catastrophe, le qanûn du Marocain Rochdi Frej est discret sans fantaisie, sans graisse inutile, juste le nécessaire et le tour est admirablement joué. Au violon et qanun, pour la circonstance, le trio a ajouté un pianiste (ici un clavier) Sélim Gouja. Un partage, plus une fusion. Le public est ravi, des flocons de nostalgie tombent du ciel. Le lendemain, nous allons repartir en Espagne, Flamenco au programme.