La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (Fidh), la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (Ltdh) et le Conseil national pour les libertés en Tunisie (Cnlt) ont tenu, hier, une conférence à l'occasion de la publication d'un rapport de mission auquel ont collaboré ces trois organismes. Intitulé «La Tunisie post-Ben Ali face aux démons du passé : transition démocratique et persistance de violations des droits de l'Homme», ce rapport a été réalisé «afin que l'on ne mette pas sur le dos de la révolution des pratiques de l'ancien régime», explique Sihem Ben Sedrine, porte- parole du Cnlt. Elle était présente aux côtés de Khadija Chérif, secrétaire générale de la Fidh, de Mokhtar Trifi, président de la Ltdh et de Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fidh. Sur la couverture du rapport, un rappel des deux premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, avec, comme illustration, une photo du sit-in de Kasbah 2, datant du 25 février 2011. Les répressions et violences commises lors des différents sit-in et manifs après le 14 janvier ont une place centrale dans le rapport. Ce dernier commence par expliquer les étapes par lesquelles le processus de transition démocratique est passé jusque-là (différents gouvernements, projet d'élections présidentielles puis de Constituante…) avant de se ramifier en trois principales sections : «Répression arbitraire de manifestations depuis le 14 janvier : des actes délibérés», «La lutte contre l'impunité dans un contexte de dysfonctionnements graves de la police et de la justice» et enfin des recommandations. Changer les pratiques policières Le rapport contient notamment des témoignages de manifestants victimes de violations des droits de l'Homme, dans les sit-in et des manifestations de février, d'avril et de mai, à Tunis mais aussi dans des régions comme Kasserine et Siliana. «Ce que nous avons remarqué, affirme Sihem Ben Sedrine, c'est le recours excessif à la violence pour dissuader les gens d'utiliser leur droit de manifester, qui est un droit reconnu par la loi». Mokhtar Trifi ajoute que les manifestations doivent aussi être organisées dans le cadre de la loi, pour éviter les réactions de répression. Quant à la violence exercée, à maintes reprises, à l'égard des journalistes, le président de la Ltdh a marqué son indignation. Pour lui, «quand on empêche les journalistes de faire leur travail, c'est que l'on a des choses à cacher». Beaucoup s'inquiètent du sort des manifestants de la Kasbah 3. Arrêtés, agressés et dont une vingtaine a été dirigée vers le service militaire. Dans des entrevues avec le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre, les représentants des trois organisations ont déclaré ne pas être d'accord avec cette démarche, dans le sens où le service militaire n'a jamais été une punition. «Ceux qui ne sont pas impliqués dans des actes de violence doivent être libérés. Les autres ont au moins le droit à un traitement et un jugement dignes», précise encore Mokhtar Trifi. Et d'ajouter : «Nous demandons à ce que chaque personne arrêtée soit, dès le premier instant, accompagnée d'un avocat sans la présence duquel elle ne doit pas être laissée seule avec les policiers». Les trois organismes ont d'ailleurs proposé au gouvernement de prendre en charge la formation du corps de police, même si, comme l'a souligné Sihem Ben Sedrine, «c'est la pratique sur le terrain qui importe le plus». L'assainissement du secteur de la justice Le dossier de la justice est un dossier crucial pour faire réussir la transition démocratique. Patrick Baudouin s'est longuement exprimé sur les réformes qui doivent être faites dans ce secteur, présentées le matin même de la conférence aux responsables du ministère de tutelle, qui, selon le président d'honneur de la Fidh, ont montré beaucoup d'intérêt et de volonté pour changer les choses. Ces responsables ont affirmé qu'un texte de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, dont l'existence était fictive à l'époque de Ben Ali, est en préparation et qu'ils prévoient une loi permettant la poursuite des bourreaux et des supérieurs hiérarchiques en justice, dans le cadre de la lutte contre l'impunité. Quelques serviteurs de l'ancien régime ont été écartés de leurs postes mais le principal reste à faire pendant la prochaine rentrée, lors des mouvements dans le corps de la magistrature. Il est également prévu de revoir le statut des juges. L'assainissement de leur secteur devrait être fait par les juges eux-mêmes, selon les représentants de la Fidh, de la Ltdh et du Cnlt. Leur action va s'étendre dans les prochains mois pour aller plus en proximité des régions, et organiser des colloques et des séminaires sur la question des droits de l'Homme. Ensemble, ils ont créé l'observatoire national des élections qui se chargera, comme son nom l'indique, de veiller sur le bon déroulement des élections du 23 octobre. L'étape à venir est le suivi de l'application sur le terrain des promesses obtenues de la part du ministère de l'Intérieur et celui de la Justice. En tout cas, ces derniers ont entre les mains le rapport sur la «transition démocratique et persistance de violations graves des droits de l'Homme», avec des dossiers de victimes de la répression, transmis au fur et à mesure, et avec des recommandations et des propositions de réformes précises.