Un avocat oeuvrant dans l'ombre pour l'Elysée sur les affaires africaines a affirmé lundi avoir remis à l'ancien président Jacques Chirac et son Premier ministre Dominique de Villepin 20 millions de dollars de dirigeants africains, un scandale embarrassant la droite française. Les accusations de Robert Bourgi, un avocat d'affaires franco-libanais, sont au coeur de la "Françafrique", ces réseaux opaques d'influence mis en place dans les années 60 et hérités de l'époque coloniale. Elles ont été lancées dimanche dans le Journal du Dimanche et ont été réitérées lundi dans plusieurs médias. Elles touchent au premier chef Jacques Chirac, à la tête de l'Etat français de 1995 à 2007. Retraité et souffrant de problèmes de mémoire, il voit s'accumuler les affaires concernant ses multiples mandats électifs. Il est actuellement jugé à Paris pour "détournements de fonds publics" au début des années 1990 lorsqu'il était maire de Paris (1977 à 1995). L'affaire Bourgi éclabousse également Dominique de Villepin, ancienne éminence grise de l'Elysée pendant la présidence Chirac et candidat potentiel à la présidentielle d'avril et mai 2012. L'ancien Premier ministre attend par ailleurs mercredi son jugement définitif dans l'affaire Clearstream, un scandale politico-financier. Elle pourrait également embarrasser Nicolas Sarkozy. Dans une déclaration à Pierre Péan, un journaliste d'investigation, l'ancien conseiller Afrique de M. Chirac, Michel de Bonnecorse affirme que Robert Bourgi a déposé une mallette d'argent "aux pieds" de Nicolas Sarkozy. Une assertion démentie par l'avocat franco-libanais. Robert Bourgi a dit lundi avoir assisté Jacques Foccart, conseiller historique du général de Gaulle pour l'Afrique, dans ce "côté obscur de la Françafrique jusqu'à son départ en 1997". "Et de 1997 à 2005, j'ai géré moi-même ce côté obscur de la Françafrique", a-t-il déclaré. "J'évalue à 20 millions de dollars ce que j'ai remis à M. Chirac et Dominique de Villepin", a ajouté M. Bourgi, soulignant toutefois qu'il n'avait "aucune preuve", "aucune trace" pour étayer ces accusations. Un avocat de Jacques Chirac, Georges Kiejman, a déclaré qu'en dépit de ses problèmes de santé, son client n'en était "pas au point de ne pas se souvenir de ce qu'il n'a pas fait". M. Bourgi affirme que le système de financement politique occulte par des chefs d'Etat africains a existé sous les présidences de Georges Pompidou, Valery Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, soit sous les mandats de 4 des 6 présidents de la Ve République née en 1958. Outre des mallettes de billets, il affirme avoir transporté des "cadeaux" de chefs d'Etat africains destinés à MM. Chirac et Villepin. "Je me souviens d'un bâton de maréchal d'Empire qui avait été offert par Mobutu", défunt président zaïrois, et d'une montre "offerte par Bongo" à Chirac "qui devait réunir environ 200 diamants". L'avocat a affirmé que "cinq chefs d'Etat africains -Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon)- ont versé environ 10 millions de dollars" pour la campagne de réélection de Jacques Chirac en 2002. Bernard Houdin, conseiller du président ivoirien déchu Laurent Gbagbo, a jugé lundi que les financements occultes entre la France et l'Afrique étaient "une pratique historique". Dans la foulée des accusations de M. Bourgi, Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont annoncé chacun qu'ils déposeraient plainte contre l'avocat pour diffamation. L'opposition, qui s'apprête à choisir son candidat pour la présidentielle d'avril et mai prochains, a dénoncé un scandale. L'ancien Premier ministre Laurent Fabius a estimé que "si ces faits sont avérés, c'est l'un des plus grands scandales de la droite depuis des décennies", tandis que Manuel Valls, candidat à la primaire socialiste pour 2012, a réclamé une "commission parlementaire". "Ca pue", a-t-il dit. La socialiste Martine Aubry a estimé qu'il y a "des règlements de comptes au sein de l'UMP", le parti présidentiel. "J'attends la justice", a-t-elle ajouté.