De notre envoyé spécial à Johannesburg Mohamed Hédi Abdellaoui Créée en vertu de l'article1 du protocole relatif à la charte africaine des droits de l'Homme et des peuples adopté le 9 juin 1998 au Burkina-Faso et entrée en vigueur le 25 janvier 2004, la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples demeure jusque-là une institution judiciaire continentale méconnue chez les populations africaines. Composée de 11 juges ressortissants des Etats membres de l'UA, elle a, en vertu de l'article 3 du protocole fondateur, compétence pour régler tout différend qui lui est soumis concernant l'interprétation et l'application de la Charte africaine des droits de l'Homme et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'Homme et ratifié par les Etats concernés. Or, il se trouve que depuis que le protocole mentionné ci-dessus a été adopté, il n'a été ratifié que par 26 sur les 53 Etats membres de l'UA, à savoir la Tunisie, l'Algérie, le Burkina Faso, le Burundi, le Congo, la Côte d'Ivoire, les Comores, le Congo, le Gabon, la Gambie, le Ghana, le Kenya, la Libye, le Lesotho, le Malawi, le Mali, la Mauritanie, l'Ile Maurice, le Mozambique, le Nigéria, le Niger, l'Ouganda, le Rwanda, le Sénégal, l'Afrique du Sud et la Tanzanie. Tout au plus que seuls 5 Etats membres sur les 26 ont ratifié la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour permettre aux individus et aux organisations non gouvernementales de la saisir : le Burkina Faso, le Ghana, le Malawi, le Mali et la Tanzanie. Ce qui constitue un handicap de taille devant l'effectivité de cette Cour africaine. C'est là le thème de la quatrième journée des travaux de la cinquième session du Parlement panafricain (PAP) se déroulant à Midrand (Afrique du Sud) du 3 au 14 octobre 2011. Une institution morale ou effective ? Pourquoi la Cour africaine des droits de l'Homme ne revendique-t-elle pas sa compétence pour trancher sur les litiges, les différends et les crimes de guerre commis en terres d'Afrique cédant la place à la Cour pénale internationale (CPI)? Quel rapport hiérarchique ou de collaboration existe-t-il entre la Cour africaine et la CPI ? Ne vaudrait-il pas mieux supprimer l'article 5 du protocole fondateur de cette Cour qui stipule que les individus et ONG ressortissants des pays qui n'ont pas ratifié la déclaration reconnaissant la compétence de la Cour ne peuvent pas recourir à cette dernière en cas d'atteintes et d'oppressions commises contre eux. C'est l'ensemble des questions émises hier matin au gré d'un long débat animé par des parlementaires qui se sont profondément lamentés sur le sort funeste d'un continent déchiré par les conflits ; un continent jusque-là affaibli par ses propres divisions. Dans ce sens, un député a observé que certains pays parmi ceux qui ont ratifié le protocole de la Cour africaine s'avèrent toujours réputés pour leur récurrente violation des droits de l'Homme. Se joignant à lui, un autre député a déclaré que la non-ratification par certains chefs d'Etat du protocole portant création de la Cour africaine traduit que ces derniers ne respectent pas les droits de l'Homme. Ou encore qu'ils n'en ont pas du tout entendu parler. En attendant que ça évolue «Ce n'est point un secret à divulguer, la Cour africaine des droits de l'Homme manque de notoriété sur le plan continental». C'est ce qu'a annoncé M. Justice Gérard Niyungeko, président de la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples à l'ouverture de la conférence de presse tenue la même journée pour répondre à l'ensemble des questions formulées précédemment. S'agissant de la suppression de l'article 5 du protocole fondateur de la Cour africaine, il a observé que c'est plutôt une clause de l'article 34 qu'il faut abolir. Cette clause stipule en effet qu'à partir de la ratification du protocole l'Etat concerné doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour recevoir des requêtes-saisines des individus et des ONG. S'attardant sur la substitution par la Cour africaine de la CPI pour ce qui est des litiges et différends africains, le même intervenant a précisé que l'institution africaine ne dispose pas de la compétence pénale requise pour le faire. Abondant dans le même sens, il a ajouté que le processus de création de la Cour africaine devra passer par trois étapes. L'on entend par cela, a-t-il relevé, une Cour sans compétence pénale telle qu'elle existe aujourd'hui. Puis, une Cour- celle-ci n'existe pas encore- qui verra la fusion de la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples basée à Banjul en Zambie et la Cour des droits de l'homme et des peuples à Arusha en Tanzanie. Finalement, une Cour ayant des compétences pénales lui conférant plus de poids et davantage d'efficacité. A la question : la Cour africaine, peut-elle jouer le rôle de superviseur des juridictions nationales, M. Justice a répondu qu'elle n'est pas encore en mesure de le faire, étant en manque de compétence pénale, ou tout au moins, elle peut remplir un rôle consultatif au cas où toutes les pistes sont épuisées sur le plan national sans jamais parvenir à un règlement final d'un litige ou d'un autre. L'efficacité passe par la notoriété «La Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples a besoin de davantage de notoriété pour plus d'efficacité et le Parlement panafricain pourrait y être pour beaucoup», a déclaré M. Justice. Sur cette même lancée, il a insisté sur le soutien que le PAP pourrait apporter à ladite institution en sensibilisant dans un premier temps les gouvernements et à la ratification du protocole portant création de cette Cour et à la reconnaissance de la déclaration spéciale autorisant les individus et ONG de recourir directement à elle. Le PAP peut également soutenir la Cour, a-t-il ajouté, en incitant ses membres à œuvrer dans leurs pays respectifs à promouvoir cette institution judiciaire continentale et en procédant lui-même à saisir la Cour pour un avis consultatif en matière de droits de l'Homme autant de fois qu'il le jugera utile. Le juge de la Cour africaine a ensuite appelé les députés du PAP à agir pour la mise en place des droits progressistes favorisant les droits de l'Homme dans leur pays, pour finalement assurer que le staff de la Cour africaine est conscient des défis qui s'imposent à cette institution. Afin de compenser le déficit de notoriété dont souffre l'institution qu'il préside, l'intervenant a fait savoir qu'ils ont visité jusque-là 8 pays en attendant d'en faire de même dans 3 autres pays.