Fondée en 1896 suite à la découverte par un géologue français d'importantes couches de phosphates de calcium dans la région de Métlaoui, la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) est aujourd'hui, faut-il le dire, au coeur de l'actualité. Grèves et sit-in se répètent, les tensions sociales sont de plus en plus grandes et les pertes quotidiennes de la société se chiffrent en milliards. Dernier en date des mouvements de protestation, cette grève de la faim entamée, jeudi dernier, par dix employés de la société Environnement, de M'dhilla, qui relève de la CPG. Ces grévistes de la faim revendiquent l'amélioration de leur situation, qu'ils jugent en deçà de leurs attentes. Cela dit, la CPG orchestre tout un vécu, nourrit des espoirs et des espoirs et semble être un souverain remède contre les lassitudes d'un quotidien dur et d'une nature peu généreuse. Nul doute qu'une entreprise ne peut, quelle que soit sa puissance économique, subvenir à elle seule aux besoins de toute une population en matière d'emploi. Pourquoi donc cette agitation, après un long immobilisme de la part des contestataires ? La Compagnie des phosphates de Gafsa a-t-elle accompagné les mutations démographiques et sociales qu'a connues la région ? A-t-elle élaboré des stratégies sur le court et le long terme ? Afin de mieux comprendre les rouages d'une situation complexe, sinon d'un «réveil», on est récemment allé à la rencontre d'un témoin qui connaît mieux que quiconque l'histoire de la société et les caractéristiques d'un long processus de transformation. L'échange s'est déroulé à l'ombre de vieux arbres entrelacés au café « La fontaine », à Métlaoui. M. Farid Khmili, fonctionnaire à la CPG et généreusement actif dans le domaine associatif, sait qu'il faut toujours se méfier des mots et pèse les siens avant de les prononcer : «Le problème de la CPG est beaucoup plus profond que ce que l'on imagine. Il faut dire dans ce sens que le cordon ombilical qui relie les habitants de la région à cette entreprise est indéfectible. Cette dernière a été, de tout temps, au cœur de leur actualité et façonne leur quotidien. En d'autres termes, tout l'espoir dépendait autrefois — un peu moins aujourd'hui — de la CPG. Sur le plan social, cette entreprise, que certains qualifiaient, autrefois, d'Etat dans l'Etat, a très tôt placé la barre haut en matière de prise en charge du quotidien de ses employés. Elle assurait toutes les commodités dont avaient besoin ses travailleurs (électricité, gaz, eau potable). Quant aux loisirs, les salles de cinéma et les théâtres ont été construits à Métlaoui et à M'dhilla par les colons vers les années vingt. Cela pour dire que la CPG est beaucoup plus qu'une simple entreprise pour les gens d'ici, étant donné que leur vie dépend étroitement d'elle. Aujourd'hui qu'elle n'est plus en mesure de jouer le même rôle, cela déçoit et embarrasse les demandeurs d'emploi, surtout les jeunes parmi eux. Autrefois, on avait la capacité d'embaucher plusieurs membres de la même famille et tout le monde était satisfait. Même quand il restait quelqu'un sans emploi, il était pris en charge par sa famille. Aujourd'hui, tout a changé et divers facteurs y sont pour quelque chose. Les critères de recrutement, d'abord, ne sont plus les mêmes, au vu des mutations démographiques. Ensuite, l'administration de la CPG a cédé son rôle au profit des syndicats. Ces derniers ont été, néanmoins, manipulés par l'ancien régime qui, mû par ses craintes d'un éventuel soulèvement contre sa politique sociale défaillante, a choisi de diviser pour affaiblir. Ce faisant, il a constamment œuvré à privilégier certains aux dépens d'autres et a joué la carte des conflits tribaux pour empêcher les gens de se tourner vers lui. L'on sait tous aujourd'hui que tout se joue au sein des syndicats et non pas au niveau de l'administration de la CPG. Voilà le plus grand tort de cette entreprise au sein de laquelle le régime de Ben Ali a réussi à semer son poison pour attiser la haine et nourrir le tribalisme. Ses anciens alliés sont toujours là et se permettent de tout faire afin de défendre leurs intérêts», fait remarquer l'interlocuteur. Il pense, de surcroît, que l'assainissement de la société ne peut que passer par sa restructuration, et ce, en faisant la part des choses entre exercice syndical et travail administratif. Pour ce qui est de la garantie de la paix sociale dans la région, il observe que la CPG ne peut, en aucun cas, résorber le taux de chômage très élevé dans la région et qu'elle doit œuvrer à la diversification des domaines d'emploi. A commencer par la création d'une banque pour financer les projets agricoles et ceux à vocation environnementale. «La CPG doit repenser son rôle et ses méthodes d'exercice tout en tenant compte des mutations socioéconomiques de son environnement», précise-t-il.