«Danse et tais-toi», c'est presque ce qu'on a dit à Nawal Skandrani quand elle avait présenté son spectacle Art/cé SeuLement, cet été au festival de Hammamet et à celui de Carthage. De quoi se mêlait-elle donc ? Et depuis quand les chorégraphes et les danseurs avaient droit de parole ? N'avaient-ils pas déjà droit au corps, et cela ne leur suffisait-il pas ? La campagne avait été féroce. On n'avait pas pardonné à Nawal de s'exprimer, de prendre la parole, de sortir du genre qu'on voulait bien lui concéder et de s'aventurer sur d'autres terrains réservés. Et pourtant, celle-ci persiste et signe. Et donne ce lundi son spectacle en OFF, à Mad'Art dans le cadre des JTC. Et revendique haut et fort son droit à l'accès à toutes formes d'expression « Depuis toujours, je n'aime pas les frontières. Bien sûr, la danse est mon domaine privilégié. Mais j'ai toujours introduit la vidéo, les arts plastiques dans mes spectacles. Je me suis produite avec un peintre sur scène. J'ai déjà inséré des textes de poètes dans mes créations. Est-ce le fait que ce soit mes histoires que je raconte avec mes mots qui fasse polémique ? Je peux accepter que l'on n'aime pas ce que je fais, on peut contester mon jeu, mais en aucun cas mes choix artistiques. Et je n'accepte pas que l'on me reproche de prendre la parole. Reprocherait-on à un cinéaste de faire de la peinture par exemple ? Pourquoi me reprocherait-on de faire une conférence, mise en scène parce que c'est mon métier ? Le dossier de presse du spectacle est d'ailleurs très clair : ce n'est ni uniquement un spectacle chorégraphique, ni uniquement du théâtre, ni uniquement un concert, encore que Jawhar Basti soit très présent, mais tout cela à la fois » Et il est vrai que le débat sur ce problème de mélange des genres peut sembler terriblement démodé. Ces clivages sont depuis longtemps dépassés, surtout dans la danse contemporaine qui s'est approprié la musique on live, la vidéo, les arts plastiques et le verbe, bien sûr. Il n'y a là rien de bien original, et cela se faisait déjà dans les années 20 «On n'a jamais reproché aux metteurs en scène, et tous l'ont fait, d'intégrer la danse dans le théâtre. Mais qu'un danseur s'approprie le texte, et c'est le tollé. Cela signifie-t-il que les danseurs et chorégraphes ne sont pas capables d'écrire ? Bien sûr, mon métier que j'aime et que j'enseigne est la danse, mais je suis libre, et j'ai besoin d'aller ailleurs. Je suis dans une forme d'écriture ouverte, qui a besoin d'autres écritures. Là, je raconte des histoires kafkaïennes avec l'administration, la police, qui me sont arrivées, mais qui toutes touchent à l'universel : histoires de petites pressions, de petits chantages, de petites corruptions... Je ne suis pas une héroïne, mais j'ai toujours refusé de composer, de négocier. Et on doit se dire que quelque part, moi, petite bourgeoise bobo, cela n'a pas pu m'arriver, et que je suis une affabulatrice ». Est-ce parce qu'elle refuse toujours de négocier que le spectacle de Nawal Skandrani ne passe qu'en OFF dans la programmation du festival, c'est-à-dire qu'on met une salle à sa disposition, mais qu'on ne la paie pas ?