Par Khaled TEBOURBI Bienvenue aux JTC. Le fait qu'elles soient à leur rendez-vous bi-annuel, malgré les difficultés du contexte, malgré les «effets collatéraux» de la situation post-révolutionnaire, est signe que l'institution culturelle compte bien se remettre en marche. Il faut reconnaître que les professionnels du secteur y ont eux-mêmes beaucoup aidé. Depuis le 14 janvier, ils ont multiplié les créations et les productions, de sorte que les programmateurs n'ont eu que l'embarras du choix. Les dossiers proposés à la présélection ont dû être tels que l'on n'a pu éviter de faire des mécontents. Quelques-uns, notamment de jeunes auteurs et metteurs en scène, se sont d'ailleurs fortement manifestés lors de la conférence de presse inaugurale, contestant le choix du jury, mettant en doute ses critères, dénonçant jusqu'à sa composition. Si ces critiques étaient justifiées, si elles n'étaient que coutumières des périodes de pré-festivals ou si elles participaient simplement de «l'humeur ambiante», on ne peut dire au juste. La seule chose dont on est sûr c'est que le théâtre de l'après-révolution n'a pas chômé. Ce qui n'est pas peu en comparaison avec la relative timidité des autres pratiques artistiques. Ce qui témoigne d'une réelle implication dans la phase cruciale que traverse le pays. Les problèmes sont ailleurs Pour en venir à des considérations d'ordre général (nos collègues critiques jugeront du détail de l'édition) deux observations nous semblent pouvoir être avancées. La première, un peu laissée «en veilleuse» jusqu'ici, est que «Les journées théâtrales» ne résolvent pas tous les problèmes du théâtre tunisien. C'est du reste le cas des JMC (toutes récentes) pour la musique et, bien qu'à un degré moindre, des JTC pour le cinéma. Il y avait, l'autre soir, sur le plateau de «Hannibal TV» les Souissi, Haddaoui, Gaïess et Toubel. Des briscards du 4e art. Et de bonnes raisons d'y croire. Pas un ne s'est vraiment attardé sur les mérites des «JTC». Mais tous ont insisté sur le fait que les réponses aux difficultés de notre théâtre résident bien ailleurs. Moncef Souissi a évoqué la disparition inexplicable (fin 80) des troupes régionales qui étaient pourtant des mannes nourricières en termes de talents dramatiques et de propositions esthétiques. Il a surtout rappelé à la coupure qui en a résulté entre le théâtre et son environnement social, simplement dit entre le théâtre tunisien et son public. Gaiess a parlé des discriminations endurées sous les précédentes administrations théâtrales. «Faveurs de subventions», souvent sur la foi seule d'affinités implicites ou déclarées avec le régime, nominations «préférentielles», mises à l'écart, exclusions professionnellement injustifiées. Leïla Toubel, de son côté, a dit son inquiétude au sujet de la dispersion des gens du métier. Héritage d'un establishment qui divisait en quelque sorte pour mieux tenir en laisse? Il y avait sans doute cette allusion. Ce que la comédienne a toutefois le plus mis en exergue c'est que cette dispersion se prolonge aujourd'hui encore, à travers une «stérile opposition» jeunes-vieux, et tout particulièrement, à travers l'absence d'une «conscience commune», «solidaire et nécessaire» face aux dangers qui se profilent à l'horizon des libertés. Les vrais problèmes du théâtre tunisien, pour tout dire, sont des problèmes de structure relevant du «long bail» de la dictature, de la censure et d'anciennes politiques culturelles irresponsables. Les vraies solutions, en conséquence, ne consisteraient qu'à faire table rase de tout cela. Des «Journées théâtrales», une fois les deux ans, n'y peuvent grand-chose. C'est évident. Sans discours, sans répondant Il n'est pas non plus inutile d'observer, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, que l'avènement même des JTC a coïncidé avec la période de recul du théâtre tunisien. Entre 1970 et jusqu'à l'abord des années 80, ce théâtre avait connu un réel essor. Avec la troupe du Kef et son théâtre social, la troupe de Gafsa et les créations collectives de Raja Farhat, Jaïbi et Jaziri, avec aussi le satirique et caustique ensemble d'El Maghreb El Arabi, avec, par dessus tout, le remarquable parcours du Nouveau Théâtre. Jamais le 4e Art en Tunisie n'atteignit une aussi grande richesse de propos, jamais il n'eut autant de pertinence et d'audace critique. Jamais, surtout, il n'attira autant de publics. Une fusion à ce jour inégalée. Pourquoi a-t-il été mis fin à cette extraordinaire épopée? Aucun mystère : le pouvoir autocratique ne s'en accommodait plus. Ce fut d'abord la fin de règne paranoïaque de Bourguiba. Ce furent ensuite les sombres 23 années de Ben Ali. A quoi servaient désormais des journées théâtrales à un théâtre d'ores et déjà tronqué, surveillé, censuré, réduit au mieux à des «contorsions» allégoriques et réthoriques ? Structure formelle, sans discours et sans répondant. Les justes leçons La 15e édition des JTC commence avec tout ce «background» derrière soi. De meilleur et de pire. Ce qui ne serait guère inutile maintenant c'est que l'on sache en tirer les justes leçons. Les temps sont propices au meilleur. Les réalités actuelles demeurent incertaines. Rehisser notre théâtre à la hauteur de son potentiel historique ne sera pas une tâche facile. Leïla Toubel a sans doute raison. C'est seulement en préservant la liberté des Arts et de la Culture dans son ensemble l'on pourra espérer y arriver. Pour le théâtre tunisien, en tout cas, c'est l'heure du choix. Espérons que ce soit le bon.