Par Selim KOUIDHI Une des traditions de la Chine impériale est l'expression de l'opinion publique par l'affichage à travers le «Dazibao», littéralement «journal à grands caractères», qui est une affiche rédigée par un simple citoyen, traitant d'un sujet politique ou moral, et placardée pour être lue par le grand public. Un des faits marquants de la révolution culturelle chinoise de 1966 fut la publication de «Dazibao» à l'université de Pékin, affirmant que l'université était contrôlée par la bourgeoisie antirévolutionnaire. Ainsi la lecture de ces textes par des jeunes étudiants les conduisit à participer à la révolution culturelle et rejoindre les gardes rouges. Par ailleurs, un des quatre grands droits dans la constitution d'Etat chinois de 1975 était le droit d'écrire un «Dazibao». Dans notre cher pays, une des traditions de la Tunisie «impériale» de Ben Ali était l'oppression de l'opinion publique par la censure à travers notamment le contrôle des médias, qui a commencé par l'interdiction de vente de certains journaux occidentaux, la fermeture imposée par la suite de certains journaux locaux, jusqu'à rebaptiser le nom et les couleurs de la télévision publique en TV7 violâtre en hommage à un triste jour de 1987. Un des faits marquants de la révolution tunisienne est le déliement des médias tunisiens des chaînes de servilités avec lesquels ils ont été longtemps ligotés. Ainsi la lecture des journaux et le visionnage d'émissions par les Tunisiens après le 14 janvier 2011 a fait entrevoir l'espoir d'une Tunisie nouvelle. Par ailleurs, la majorité des Tunisiens réclament aujourd'hui l'intégration au niveau de la nouvelle Constitution de la liberté de presse comme droit fondamental. Toutefois, nous assistons ces derniers jours à certaines scènes qui, au dire du gouvernement de la Troïka, ne prédisent rien de grave à savoir : — L'interdiction de vente en Tunisie de trois hebdomadaires français Le Point, l'Express et un hors-série du Nouvel Observateur sous prétexte de préserver le peuple tunisien d'articles qui risqueraient de les offenser; — Des menaces reçues par un quotidien de la place pour avoir publié des informations jugées diffamatoires concernant des dépassements de certains barbus illuminés dans un village au nord de la Tunisie dont l'existence vient paradoxalement d'être confirmée par la Ligue des droits de l'Homme tunisienne; — Et finalement et pas des moindres, des désignations décidées par le Premier ministère, et qui ont touché l'Agence Tunis-Afrique presse (TAP), La Presse-Assahafa et la Télévision tunisienne avec ses deux chaînes, et qui ne se sont pas limitées aux postes de direction, mais ont touché aussi le rédactionnel. Chers concitoyens, avant d'entamer une nouvelle ère de la Tunisie «impériale» qui s'annonce cette fois-ci comme «Khilafa» de la Troïka, n'attendez plus, à vos plumes, soyez vous-mêmes les journalistes libérés de cette nouvelle Tunisie qui n'accepteront plus jamais un retour en arrière en publiant vos propres «Dazibao» et en les placardant sur tous les murs du pays. Toutefois, ma crainte, chers concitoyens, est de voir ressurgir d'autres vieilles traditions de la Tunisie «impériale» de Ben Ali qui, je le crains, sont très ancrées dans les habitudes de nos dirigeants politiques. A cet effet, soyez vigilants en apposant vos «Dazibao» sur les murs car vous risquerez soit de vous faire tabasser par des forces de l'ordre qui ont d'ailleurs montré récemment tout l'amour qu'ils portaient pour les journalistes, soit de vous retrouver dans des cellules obscures sans jugement équitable sous prétexte de menace de la sûreté nationale.