Par Soufiane Ben Farhat Un ministre sans portefeuille, on savait ce que c'est. Un ministre sans fonction, non. Aux dernières nouvelles, le ministre délégué chargé de la Réforme administrative, Mohamed Abbou, a repris hier ses fonctions à la tête de son département. En fait, le ministre n'avait pas exercé ses fonctions depuis une semaine. Il était en souffrance avec le gouvernement. Il a fallu une médiation spéciale de la Troïka (le Mouvement Ennahdha, le Congrès pour la République CPR et le Forum démocratique pour le travail et les libertés Ettakatol). M. Abbou a indiqué que ce compromis lui a permis “d'obtenir les attributions qu'il exigeait afin de mettre en œuvre son approche visant à promouvoir la fonction publique, à introduire les réformes administratives nécessaires et à s'acquitter pleinement de sa mission”. Voilà où on en arrive lorsqu'on s'acharne à mettre la charrue avant les bœufs. Dans le processus de formation du gouvernement, on s'est surtout focalisé sur la distribution des dignités. Au point d'en oublier l'essentiel. Et qu'un ministre de l'alliance gouvernementale se retrouve sans exercice effectif de son rôle, à défaut d'attributions. Plus généralement, se pose la question du travail gouvernemental. Il est vrai qu'on est en révolution. Et en transition. Et le propre des révolutions, c'est de chambouler les normes. C'est inévitable. D'où, un quasi-nécessaire cafouillage au début. Lorsqu'on s'avise de changer l'état des choses de fond en comble, on n'est guère à l'abri de quelques dérapages. Ajoutons-y l'état d'esprit ambiant des Tunisiens. Toujours est-il qu'on est en Tunisie. C'est-à-dire dans un pays de vieille tradition étatique et dont l'administration est bien charpentée. Cela a permis d'ailleurs de préserver bien des acquis au lendemain de la Révolution. Car si le régime politique est tombé en crise, il n'en est guère de même de l'Etat. Les institutions ont continué à fonctionner, aux pires moments de la confusion et de la quasi-anarchie qui se sont installées juste après la chute de l'ancien régime. Aujourd'hui se pose la question de la praticabilité de l'action gouvernementale. Les levées de boucliers se succèdent. Grèves, mouvements protestataires et sit-in se chevauchent. Exsangues et saignés à blanc, les citoyens n'en peuvent plus guère. En même temps, le gouvernement se retrouve quasi paralysé. Il n'a presque plus de marge de manœuvre. Les réformes promises ont besoin d'un environnement stimulant. Les crispations en rajoutent à l'inertie. Une espèce de dialogue de sourds s'installe. Les luttes de chapelles n'en finissent pas d'empoisonner l'atmosphère. Majorité gouvernementale, partis de l'opposition et syndicats se jettent parfois l'anathème. Chacun accuse l'autre de tous les maux. Pourtant, nous sommes tous embarqués sur le même vaisseau. Notre salut ou notre perte ne sauraient être que communs. La vie est ainsi faite. Nous sommes tous redevables de relever les mêmes défis. Point d'exclusive, de privilèges ou de domaines réservés en la matière. Aujourd'hui, une structure de concertation est nécessaire. Elle doit exister en dehors de l'Assemblée constituante. Son rôle a trait précisément à l'action gouvernementale et aux revendications citoyennes. Ce serait, plus qu'une structure bureaucratique pérenne, une dynamique de groupe. Sa vocation doit être fonctionnelle. La Tunisie est la patrie indivise de tous les Tunisiens. Ils cultivent à son endroit le devoir d'appartenance. Quelle que soit la sensibilité politique au pouvoir, le pays est au-dessus de toutes les coteries, toutes les idéologies et toutes les allégeances. Le moment est, à bien des égards, critique. Il ne faut guère faire encore du surplace. S'il y a incurie gouvernementale, il ne faut guère enfoncer le clou davantage. Autrement, cela équivaudrait à partager l'erreur et l'ériger en faute. Le signal fort doit être donné par le chef du gouvernement. Sonner le rappel de l'union sacrée de toutes les forces dont le pays regorge. Stabiliser l'économie et sécuriser les âmes. C'est une nécessité et un privilège.