Par Soufiane BEN FARHAT Les jours se succèdent. Le rouleau compresseur post-révolutionnaire n'en finit pas. Chaque jour apporte son lot de faits et de passions. Cette semaine a été plutôt folle. Scandales, récriminations, positionnements divergents sinon antagoniques. Nous sommes au cœur de la spirale vicieuse et de la tourmente. Pour un observateur extérieur et neutre, cela déconcerte. Les choses évoluent à une vitesse folle, débridée. Fait révélateur, l'opinion est devenue volage, fantasque, volatile. Elle déborde sur les cœurs de cible traditionnels des médias classiques. Elle est aussi dans la Toile, l'Internet, les réseaux sociaux. Elle influe sur le vécu tout en étant dans les marges. Et la notion de marge elle-même évolue. Il y a des déplacements de sphères, des transferts de la sacralité coutumière due à tel ou tel support. Les actes politiques requièrent des significations inattendues. Ainsi en a-t-il été de l'amnistie et la liberté conditionnelle pour des détenus à l'occasion de la célébration de l'anniversaire de la Révolution du 14 janvier 2011. Cela a suscité des réactions controversées. Le fait que le propre frère du ministre de la Justice figure parmi les amnistiés en a rajouté à la confusion et aux supputations. Puis il y a eu l'affaire de la vidéo obscène et infâme relative à l'actuel ministre de l'Intérieur du temps où il était détenu. Il est à relever que la société civile et politique a vigoureusement réagi à cette dernière vidéo. Sans entrer dans le détail de la véracité ou non des faits, les Tunisiens ont refusé en bloc le recours à de telles méthodes ignominieuses. Non, franchement, ce n'est guère dans nos traditions. Et encore moins dans nos goûts et penchants. La lutte politique doit être au-dessus des fanges nauséabondes. Mais il n'en est pas moins vrai que cela pose la question de l'éthique des échanges depuis peu sous nos cieux. La scène change à vue d'œil. Elle est marquée par la formidable poussée de la liberté, l'irruption brutale des masses, l'Internet, l'anonymat et la multiplication inouïe des chapelles. Autant d'ingrédients pour ainsi dire explosifs. La démocratie opère chez nous moyennant une stratification par le bas plutôt que le nivellement par le haut. Il en résulte une malencontreuse cacophonie. Et qui n'est pas toujours heureuse. La démocratie n'est certainement pas un luxe de riches, loin s'en faut. Mais elle suppose aussi, du moins au niveau de l'échange, une culture générale et une promptitude au dialogue. Autrement, le dialogue de sourds supplante le supposé échange. Et c'est ce que l'on observe chez nous. Le spectateur attentif est effaré par la violence de certains échanges entre camps divergents. Au niveau des élites et des états-majors politiques, passe encore. C'est mitigé, avec des flambées passionnelles intermittentes mais, somme toute, toujours dans les limites de l'acceptable. Au niveau des bases, la donne change. La blogosphère en est la meilleure illustration. On assiste à un véritable déchaînement des passions. Les uns insultent là où d'autres invectivent et calomnient. Il y a même des appels au lynchage, aux agressions et aux meurtres. L'impunité en rajoute à l'aveuglement. C'est symptomatique d'états d'âme sulfureux, voire démentiels, fourvoyés par la haine et le mépris de l'autre. Bref, on n'y reconnaît plus son pays. Cela ne saurait être l'une des significations de la Révolution. Une Révolution noble, fondée sur les valeurs de la dignité, de l'individu et de la liberté. C'est même, sous certains angles, un attentat permanent aux valeurs de la Révolution. La responsabilité de tous est interpellée. Attention, les enfants regardent, dit-on. Et les enfants épousent d'une manière quasi innée l'instance mimétique. Ils reproduisent les postures de leurs aînés. Et puis, comme dans tout jeu, il y a des retours de flamme. Tel qui démonise à loisir ses adversaires se retrouve tout à coup diabolisé. Tel qui calomnie est calomnié. L'action égale la réaction. Dans le registre du pire, cela engendre des sommes nulles.