Intitulée «Liberté», l'exposition d'œuvres de l'artiste peintre tunisien vivant à Lucerne (Suisse) Ahmed Zaïbi, qui a démarré le 20 janvier dernier et se poursuit jusqu'au 18 février, regroupe 97 tableaux de grand et de moyen format, dont les prix varient entre 900 et 50.000 dinars. Des œuvres abstraites marquées par un souffle de liberté qui transparaît dans l'élan gestuel de l'artiste et sa capacité à donner sens à des motifs simples qui ressemblent à des dessins d'enfants. Le parcours de Ahmed Zaïbi est assez singulier. La peinture, le départ vers Lucerne n'auraient pas effleuré le moins du monde son esprit. Natif de Jendouba, sa vie aurait pris une autre tournure s'il n'y avait pas eu cette maladie. L'opération d'extraction du rein et son remplacement par celui de sa sœur effectué en Suisse a été une grande chance pour lui. Cloué au lit durant sa convalescence, il s'est mis à faire des dessins. Il découvre l'univers des formes et des couleurs. Il commence à dessiner des bananes, fruit très prisé en Tunisie et rare à une certaine époque. Son hospitalisation lui sera bénéfique. On lui fait installer une table de dessin et le voilà propulsé dans un monde pictural, dont il essaie de déceler les secrets. Une fois rétabli, il décide de se consacrer pleinement à la peinture et d'en faire son métier. C'est ainsi qu'il commence par l'aquarelle, passage obligé, puis il s'oriente vers la gravure par les aiguilles froides. Ses œuvres atteignent parfois un mètre carré. Désormais, installé à Lucerne, il fait parler de lui. Ses expositions sont courues. Certains voient dans ses œuvres la naissance d'un nouvel artiste. Il donne à la plaque de cuivre une histoire, la sienne à la fois gaie et triste. Aiguille vs pinceau Ahmed Zaïbi ne se limite pas à la gravure ayant fait pourtant son succès. Il explore d'autres techniques, dont la peinture à l'huile. Il tronque l'aiguille pour le pinceau. Formes spontanées, couleurs primaires donnent au tableau une allure imposante. Le peintre fouille dans ses souvenirs d'enfant enrichissant sa palette d'une culture à la fois moderne et traditionnelle. On y décèle des signes et des symboles caractéristiques de la culture arabe, de la calligraphie aussi, comme pour mieux fixer son identité et son appartenance à la culture arabo-musulmane. Dans les œuvres qui nous ont été données à voir au cours de cette exposition, leur disposition laisse perplexe. Pourquoi la commissaire de l'exposition, Houda Ajili, a-t-elle opté pour un agencement anarchique des œuvres ? Certaines œuvres auraient gagné à être exposées ensemble, notamment les formats moyens dont les dessins sont différents des grands formats. Il est certain qu'aucun autre espace que le Palais Kheireddine n'aurait pu contenir une telle exposition en raison de la nature des formats immenses proposés par l'artiste. Traces, courbes et lignes se transforment en des compositions expressives. Telle trace prend l'allure d'un symbole ou d'un signe, telle forme courbée en œil ou en tête. Une peinture symbolique ancrée dans un passé enfoui, un inconscient exhumé. Ahmed Zaïbi a voulu rendre hommage à la révolution tunisienne et plus particulièrement à Mohamed Bouazizi, artisan, s'il en est, de cette révolution. Du rouge, du jaune, du bleu et du noir mettent en valeur une composition semi-figurative étayée d'un texte calligraphique dédié à la révolution. Ahmed Zaïbi a trouvé le soutien et l'encouragement de personnes qui ont cru en son talent, dont son professeur Hans Sharer à qui il rend hommage en lui consacrant l'une de ses œuvres. Ce que l'on peut retenir de cette exposition est que la liberté s'acquiert au prix de grands sacrifices et de souffrances. Sans son opération de rein, Ahmed Zaïbi ne serait pas allé aussi loin et n'aurait sans doute pas atteint la liberté du geste qu'on entrevoit à travers ses tableaux. De même que Bouazizi ne serait pas entré dans la postérité s'il n'avait pas déclenché inconsciemment par son geste la révolution. Il y a des hasards heureux.