Probablement aucune réunion n'a mis jusqu'ici face à face journalistes des médias publics, leurs directeurs et les politiques dans un débat sur la réalité du métier des premiers, leurs attentes, leurs préoccupations et leurs inquiétudes. Avec ces vacances parlementaires, qui tombent à pic, l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) a choisi le moment opportun pour évoquer la question des «Médias publics et l'enjeu de leur indépendance». Dans la grande salle de l'hôtel Golden Tulip à Tunis, il y avait hier pratiquement autant de représentants de l'Assemblée constituante, toutes formations politiques confondues, que de journalistes ! Mme Nejla Al Amri, directrice régionale de la BBC chargée de la formation, a dirigé le débat de cette longue séance de «prise de contact» direct entre les uns et les autres. Mission peu évidente : des malentendus, des susceptibilités à fleur de peau et de nombreuses frictions ont jalonné les échanges de la journée d'hier. « L'indépendance ne surgit pas du néant » Premier à intervenir : M. Kamel Labidi, président de l'Inric. Il a relevé à quel point aujourd'hui encore le concept de média public, qui, dans les pays démocratiques, incarne une culture, reste flou dans les esprits. Toutes ces années passées à servir dans une totale obéissance et allégeance le pouvoir du «combattant suprême» et puis celui de «l'artisan du 7 novembre» expliquent cette confusion qui a marqué même le discours des politiques de cette période de transition où média public a continué à rimer avec média gouvernemental. Pour M. Kamel Labidi, ancien journaliste à la TAP, l'indépendance dans ce secteur ne peut pas surgir du néant. Elle s'appuie sur des conditions juridiques et structurelles précises : des lois, un conseil d'administration pluriel, une instance de régulation de l'audiovisuelle garante des libertés et de la diversité, une volonté vraie politique afin de rompre avec les anciennes pratiques liberticides. Enchaînant sur l'importance du principe du dialogue (un fondement des médias publics) avec la société civile et avec toutes les forces vives d'un pays, Mme Al Amri a souligné également toute la délicatesse de la tâche des directeurs des entreprises publiques subissant la pression des gouvernements qui les ont nommés et celles de leurs employés, les journalistes, toujours en mal d'indépendance. Elle a ensuite cédé la parole aux P-DG de la Radio nationale (M. Habib Belaïd), de la Télévision nationale (M. Adnen Khedher), de la TAP (M. Taïeb Youssefi) et de la Snipe-La Presse (M. Nejib Ouerghi). Le débat s'est beaucoup réchauffé à la suite de l'intervention de M. Ridha Kazdaghli, conseiller auprès du Premier ministre, chargé de l'information, qui a notamment parlé d'un « exemple tunisien en matière de médias publics». Il a évoqué également la question, désormais épineuse, de l'activation des nouvelles législations intéressant les médias. «Ces lois seront soumises à des consultations très larges. Il ne faut exclure personne. Nous trouverons un terrain d'entente sur la base du dialogue. Il faudrait travailler avec méthode et non pas avec passion sur ce sujet», a-t-il affirmé. Les journalistes demandent alors : quelle partie s'oppose aujourd'hui à la mise en application du nouveau code de la presse et au décret-loi n° 41 du 26 mai 2011 relatif à l'accès aux documents administratifs détenus par les organismes publics ainsi qu'au lancement de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) ? Pourquoi ? Quand le gouvernement compte-t-il lancer ses consultations et à quel niveau ? Jusqu'au bout, M. Kazdaghli a joué au chat et à la souris avec les journalistes, évitant soigneusement de présenter l'agenda du gouvernement concernant le traitement de cette question et de donner des réponses claires à leurs interrogations.