Le costume est le thème central de l'exposition de photographies et de mode qui se tient actuellement à Ness El Fen (El Omrane). Trois photographes : Carolle Benitah, Franco-marocaine, Nabil Boutros d'Egypte et Hassen Hajjaj du Maroc exposent leurs œuvres photographiques originales sur différents supports, du tirage à la bâche grand format en passant par l'installation audiovisuelle avec projection d'images sur fond sonore ainsi qu'une exposition de livres et de catalogues consacrés à la photo fixés sur quatre tables, mis à la disposition du public pour consultation. A l'étage, de jeunes stylistes, parmi lesquels le talentueux Farès Ben Chaabane, proposent des spécimens de leurs créations vestimentaires. «A travers ce panel international et tunisien que nous avons choisi, nous voulons permettre au public tunisien d'enrichir son regard et lui assurer une pédagogie en lui faisant découvrir des démarches photographiques originales et en déclenchant chez lui une réflexion», expliquent les deux commissaires de l'exposition, Younes Tebib et Marie Moignard. Ces photographes issus de la diaspora ont, chacun, un double regard sur la culture et de leur pays d'origine et de celui d'adoption. Photos-souvenirs Diplômée de l'Ecole de la Chambre syndicale de la Couture parisienne, Carolle Benitah a exercé pendant dix ans la profession de styliste de mode avant de se tourner vers la photographie en 2001. Sur ses photos de famille en noir et blanc, elle a ajouté la broderie. Elle a effectué de la sorte une thérapie psychologique sur un travail autobiographique, redonnant ainsi dans cette mise en scène ses sentiments d'un vécu dont elle n'a aujourd'hui que des bribes de souvenirs. «J'ai commencé à m'intéresser à mes photographies de famille, lorsqu'en feuilletant l'album de mon enfance, je me suis retrouvée submergée par une émotion dont je n'arrivais pas à déterminer l'origine. Ces photographies prises il y a 40 ans et dont je ne me souvenais ni du moment de la prise de vue, ni de ce qui avait suivi ou précédé cet instant, réveillaient en moi une angoisse de quelque chose de familier et totalement inconnu à la fois, une sorte d'étrangeté inquiétante dont parle Freud. Ces moments fixés sur du papier me représentent, parlent de moi, de ma famille, et disent des choses sur la question de l'identité, de ma place dans le monde, mon histoire familiale et ses secrets, les peurs qui m'ont construite et tout ce qui me constitue aujourd'hui». L'habit fait le moine Quant à Nabil Boutros, il a réalisé 25 portraits de son propre visage métamorphosé en plusieurs personnages qui montrent les différentes facettes de l'identité du peuple égyptien. Ces portraits ont été faits en février 2010. Dans ce projet artistique, le photographe a mimé son visage en plusieurs caractères masculins de la société égyptienne. Il a effectué ces photos en se coiffant, se teignant et se rasant cheveux et barbe de manières différentes. Il a fallu un an, le temps nécessaire à faire pousser cheveux, barbe et moustaches à différents stades. D'abord peintre, puis scénographe, Nabil Boutros utilise le medium photographique depuis 1986. «L'apparence vestimentaire d'une personne envoie un message attestant de son identité et sa manière de penser à son entourage. Bien maîtrisée, cette apparence exprime moins un état de fait que de la communication. Jusqu'où pouvons-nous faire confiance à cette apparence ? Cette pensée m'a été inspirée par ceux qui, en Egypte et sous couvert d'un nouveau statut financier ou religieux, ont radicalement et rapidement changé de look. Par conséquent, ils ont également changé leurs relations sociales. Que pouvons-nous en déduire ? Au mieux, que chacun a de multiples facettes; au pire, que l'habit fait le moine». Double identité Hassen Hajjaj, photographe, designer et créateur de mode, travaille, pour sa part, sur le multiculturalisme. Ses œuvres grands formats évoquent la double culture à travers le style vestimentaire. Une série de portraits mettent en relief le costume occidental et africain, la tradition et la modernité. Son travail réside dans un jeu combinant l'ironie et le kitsch, afin de bousculer les références et stéréotypes orientalistes. Chaque personnage photographié raconte une expérience à la fois singulière et révélatrice. La Marocaine Majda El Bour porte le caftan ou le jabador (tunique qui couvre le corps de la base du cou jusqu'aux pieds) à l'extérieur de la maison, lorsqu'elle est dans son pays natal. L'Ethiopien Nathaniel Habtemariame Ghebretinsaye se pare de l'abesha lebse traditionnelle et de l'écharpe jano, comme pour le 50e anniversaire de mariage de ses grands-parents. Le créateur de mode Samson Soboye a, quant à lui, grandi en Angleterre et n'a pas appris les spécificités culturelles de son pays d'origine, le Nigeria : parler le Yoruba, se prosterner devant les aînés, etc. Il s'est souvent senti étranger à de multiples niveaux, lorsqu'il revenait là-bas. Porter le costume traditionnel fut pour Soboye un moyen de connexion avec une culture qu'il n'a jamais vraiment connue. Le projet «Cross-dressing» de Hassan Hajjaj révèle ainsi l'essence du multiculturalisme : se réinventer, s'adapter, à travers ces deux mondes traditionnel et moderne, sans jamais délaisser totalement l'une ou l'autre culture.