• Première audience du procès, le 8 mars L'affaire «Attounissia» a provoqué toute une campagne de protestations, lancée par des associations, des instances nationales et internationales ainsi que des syndicats et des partis, rejetant le principe de la poursuite judiciaire des journalistes et s'opposant à toute atteinte à la liberté d'opinion et d'expression. Un tollé qui n'est pas resté sans effet... Incarcéré depuis le 15 février, le directeur du quotidien Attounissia, Nasreddine Ben Saïda, a été remis, hier, en liberté. La huitième chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis a, en effet, décidé de le remettre en liberté et son procès sera ouvert, en sa première audience, le 8 mars prochain. Evoquant les raisons de la libération de son client, M. Khaled Krichi, avocat de la défense, a précisé que le juge a été convaincu de l'absence d'éléments justifiant la condamnation. «C'est le juge qui a la possibilité de changer la qualification du crime, explique-t-il. Il l'a changée en s'appuyant sur le décret n°115, promulgué le 2 novembre 2011, en remplacement de l'article 121 ter du code pénal». Ajoutant: «Le décret n°115 annule la criminalisation des dépassements dans le domaine de la presse, de l'imprimerie et de l'édition et les qualifie de ‘‘dépassements''... Nous nous attendions à ce que, le 8 mars, le juge déclare un non-lieu, vu l'absence d'arguments judiciaires allant dans le sens du crime qualifié du point de vue de l'article 121 du code pénal. Dans le cas où le jugement inculperait mon client, et même s'il s'agissait de payer une simple contravention, nous ferions appel. Dans ce cas de figure, nous aurions la possibilité d'invoquer le décret n°115 comme texte de base pour cette affaire». L'avocat affirme, par ailleurs, que le directeur du journal est en bonne santé. Pour le secrétaire de rédaction du journal Attounissia, Taoufik Nouira, «le fait de juger un directeur de journal selon le code pénal est une injustice en soi. Certains articles de ce code ont été promulgués par l'ancien régime pour camoufler l'arrestation des journalistes afin de ne pas troubler l'opinion publique internationale. La photo que nous avons publiée n'était qu'une illustration d'un article et nous n'avions aucune autre intention par sa publication. Nous remercions les assocaitions, les avocats, les organismes, les syndicats et tous ceux qui se sont associés à notre affaire, qui est celle des médias tunisiens. Ces derniers subissent plusieurs accusations et agressions par ces temps, ce qui limite le champ de la liberté d'expression...», fait-il remarquer. «Non à l'emprisonnement des journalistes» La grève de la faim qu'a observée Ben Saïda depuis samedi dernier a sans doute donné un deuxième souffle aux protestations et aux condamnations quant à son incarcération. Rien que pour la journée de mercredi, un collectif d'ONG tunisiennes, au nombre de dix-neuf, a exprimé dans une déclaration commune «le refus catégorique de l'emprisonnement des journalistes dans des affaires de délits de presse, d'édition, d'impression et d'opinion». L'ensemble des associations, syndicats et instances signataires de cette déclaration ont affirmé qu'il s'agit «d'un grave précédent, une atteinte à la liberté d'opinion et d'expression, et une violation des libertés publiques et individuelles». Ils ont, de même, qualifié l'arrestation des journalistes de «violation flagrante des principes de la révolution de la liberté et de la dignité». Ledit collectif a, aussi, appelé les médias audiovisuels, de la presse écrite et de la presse électronique à condamner l'arrestation des journalistes et à porter un brassard noir avec l'inscription «Non à l'emprisonnement des journalistes». Révision des dispositions du Code pénal Par ailleurs, ce collectif d'ONG a annoncé sa décision de poursuivre la lutte pour la liberté et a condamné toute décision d'arrestation et de traduction des journalistes en vertu des dispositions du Code pénal, appelant à l'application du décret-loi n°115 relatif à la liberté de la presse, d'impression et d'édition. Pour sa part, le bureau exécutif de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) a appelé à l'accélération de la révision desdites dispositions du Code pénal, comprenant des sanctions privatives de liberté et pouvant être infligées aux journalistes et aux communicateurs. L'AMT a affirmé, dans un communiqué publié hier en réaction à l'affaire de l'emprisonnement du directeur du journal Attounissia, que ces dispositions sont contradictoires avec les dispositions du décret-loi n°115 de l'année 2011. L'ATM rappelle, d'autre part, son «soutien de principe à la liberté de la presse, d'expression et des libertés fondamentales en tant qu'attribut essentiel du régime démocratique». De même, les membres du parti «Al-Aridha» pour la liberté, la justice et le développement ont dénoncé toute forme d'oppression, de répression et d'agression verbale et matérielle contre les journalistes. Dans un communiqué rendu public hier, ils ont exprimé leur regret au sujet de l'affaire du directeur du quotidien Attounissia. Ils ont fait part de leur intention de demander une réunion d'urgence au niveau de l'Assemblée nationale constituante en vue d'amender les législations en vigueur afin d'empêcher l'emprisonnement des journalistes pour des délits de publication. D'autre part, et dans un communiqué similaire, les députés du groupe parlementaire démocratique rejettent la poursuite en justice des journalistes. Ils ont exprimé leurs «préoccupations face à la récurrence des indices qui révèlent que la liberté de la presse est prise pour cible».