Les syndicats, les journalistes, les associations et les instances indépendantes sont froissés par la situation dégradante dans laquelle les médias tunisiens sont traînés. Ces derniers, à l'instar de la radio «Zitouna» et le quotidien «Attounissia», courent de graves dangers qui pourraient être à l'origine de leur dysfonctionnement. Le pouvoir est désigné comme le premier responsable de la protection des médias et de la liberté d'expression. Ça bouillonne, depuis belle lurette, dans le camp des journalistes. Plusieurs médias vivent une situation caractérisée par une certaine anarchie, alors que maints journalistes sont agressés physiquement et moralement. L'affaire de l'emprisonnement du directeur du quotidien Attounissia, Nasreddine Ben Saïda, ainsi que l'arrestation de son rédacteur en chef et de l'un de ses journalistes, est considérée comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. C'est du moins ce que l'on a pu constater à travers les interventions de toutes les parties présentes à la conférence de presse tenue, hier, au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens. Outre une importante foule de journalistes, dont ceux du journal Attounissia, la conférence a vu la présence des membres du Snjt et des représentants de l'Association tunisienne des directeurs de journaux, mais aussi de l'Instance nationale de la réforme de l'information et de la communication (Inric), du syndicat tunisien de la presse indépendante et partisane, ainsi que du syndicat général de la culture et des médias. Les représentants de ces diverses associations et syndicats ont cosigné un communiqué dans lequel ils appellent à la libération du directeur du journal Attounissia et à la réactivation du décret n°115, promulgué le 2 novembre 2011. Ils ont indiqué que l'arrestation dudit directeur et de ses journalistes n'est rien moins qu'une offense envers les médias, visant à réduire leur espace de liberté vitale. Un appel a été lancé à travers ce communiqué à l'intention de la société civile afin qu'elle soutienne la liberté de la presse contre toute forme de répression. De même, on a rappelé la responsabilité du président de la République, du Premier ministre et du président de l'Assemblée constituante quant à la protection de la liberté de la presse en cette phase de l'histoire du pays. Présidant la séance, Néjiba Hamrouni, présidente du Snjt, a dénoncé les différentes agressions perpétrées contre la profession. «Nous dénonçons l'arrestation des journalistes. C'est une première qu'un journaliste ou un directeur de journal soit emprisonné. Cela n'a pas eu lieu, même à l'époque de l'ancien régime. C'est une humiliation pour nous tous, les journalistes», déclare la syndicaliste. Pour sa part, M. Moncef Ben M'rad, président de l'Association tunisienne des directeurs de journaux, «les journalistes tunisiens sont visés par des agressions qui sont de plus en plus fréquentes (...) Désormais, ajoute-t-il, la guerre des journalistes et des médias contre la censure prend de nouvelles formes». Maints dépassements Enchaînant sur le sujet, M. Néji Bghouri, journaliste, syndicaliste et membre de l'Instance nationale de la réforme de l'information et de la communication (Inric), a indiqué que «ce qui se passe actuellement ne peut que confirmer l'intention de certaines parties de faire main basse sur les médias». Ajoutant : «Le manque de patience du gouvernement est palpable et sa position envers le journal télévisé de la chaîne nationale, qu'il qualifie de partiale, en est la preuve. Nous avons assisté à une campagne lancée par des symboles politiques, à l'instar de Rached Ghannouchi, le Premier ministre, le président de la République et certains ministres, notamment Samir Dilou, qui sont devenus des rédacteurs en chef. Ils donnent leurs propres interprétations des informations et des commentaires, tout en nous donnant une classification des informations selon leur importance pour eux. Pour moi, c'est une campagne d'intimidation des journalistes et de leurs médias». Selon lui, ce qui s'est passé à la radio «Zitouna» est «un coup dur pour les institutions de l'Etat». «Il y a eu, explique-t-il, un jugement définitif rendu par la Cassation concernant la nomination de Dr. Iqbal Gharbi à la tête de cette radio. Sauf que le gouvernement s'est incliné devant une minorité extrémiste pour revenir sur sa décision, ce qui n'est pas acceptable». Rappelons qu'avec la nationalisation de Radio-Zitouna, on avait nommé l'universitaire Iqbal Gharbi en qualité d'administrateur judiciaire. Docteur en psychologie, professeur à l'université «Ezzitouna» de théologie islamique, directrice de la chaire d'anthropologie religieuse et chef du département civilisation islamique à l'Institut supérieur de théologie, Iqbal Gharbi avait dès lors annoncé, sur les colonnes de notre journal, que le contenu de la radio reflèterait le discours religieux de la nouvelle Tunisie libre et démocratique. «Cette nomination avait suscité une polémique au sein de la radio, affirme de son côté Najet Yaâcoubi, avocate de la défense de Dr Gharbi, et un front d'opposition à cette décision s'était constitué. Menant ce front, Mohamed Mechfar, ne disposant d'aucun diplôme en matière de civilisation islamique, a provoqué une discorde entre certains membres du personnel de la radio et la majorité du personnel et des journalistes qui soutiennent Mme Iqbal. On a refusé à cette dernière tout accès à la documentation et l'information et, finalement , l'accès à la radio. Il y a eu plusieurs dépassements dont l'intervention d'un certain Adel Elmi, président d'une certaine association religieuse islamique, qui a même menacé la directrice de l'agresser physiquement si elle continuait à se rendre sur les lieux de la radio. Et, alors que la Cour de cassation avait confirmé la nomination de Dr Gharbi à son poste, les dépassements n'ont pas cessé. Dans cette ambiance de discorde et de dépassement de la loi, un comité, dirigé par le ministre des Finances, a décidé, il y a deux semaines, de nommer une autre personne en qualité de chargé d'affaires à la tête de la radio. Cette personne, comme par hasard, a tout de suite nommé Mohamed Mechfar en tant que son adjoint», enchaîne l'avocate. Ne plus recourir au pouvoir exécutif Pour sa part, Néjiba Hamrouni a affirmé que la situation est très délicate au sein de Radio «Zitouna», «dont le discours religieux, explique-t-elle, prend une orientation dangereuse». Le Snjt aurait formulé une proposition qui consiste à intégrer cette radio dans l'établissement des radios nationales tunisiennes. Reprenant l'affaire du journal Attounissia, dont le directeur est en prison jusqu'à la fin des investigations dans ladite affaire, tout le monde a appelé à appliquer le décret-loi n° 115 promulgué dans le Code de la presse. Le décret considère tout journaliste en tant que fonctionnaire de l'Etat et lui procure une certaine protection. «Les affaires qui relèvent du domaine du journalisme, indique Hichem Snoussi, membre de l'Inric, doivent être traitées à part. Désormais, il y a des décrets qui gèrent ces situations. Il faut juste les réactiver, à l'instar du décret n°41, pour tout ce qui concerne l'accès à la documentation publique, ou du décret N°115 qui assure une certaine protection aux journalistes dans le jugement des dépassements qui peuvent émaner d'eux». Les intervenants ont tous dénoncé l'agression physique et morale des journalistes et ont réitéré leur refus du recours au code pénal et de toutes les formes de sanction physique des journalistes, quel qu'en soit le motif.