Par Soufiane Ben Farhat Un ministre doit surveiller ses propos. Et modérer le cas échéant les réactions intempestives, cruelles ou ridicules de ceux qui l'entourent. M. Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, en sait quelque chose. Ses propos, tenus lors d'une réunion au Canada au sujet de la création d'établissements universitaires à Sidi Bouzid, ont choqué, révulsé et indigné même les habitants de la région. Les réactions vigoureuses et appuyées n'ont pas manqué. Une marche de protestation a sillonné, mercredi, les principales artères de Sidi Bouzid. Jusqu'à ce que le ministère réagisse, enfin, avant-hier en fin d'après-midi. Dans un communiqué, M. Moncef Ben Salem fait part du «respect qu'il voue aux habitants de Sidi Bouzid, regrettant le malentendu que ses propos ont pu susciter». Dans l'enregistrement de ses propos qui a circulé sur la Toile, le ministre parle avec force détails d'une séance de travail tenue au ministère du Développement régional avec les habitants de Sidi Bouzid. Il rapporte qu'un citoyen de la région avait menacé de s'immoler par le feu au cas où la demande d'ouverture de deux facultés dans la région ne serait pas satisfaite. L'assistance rit bruyamment. Auparavant, le ministre a dit que ce citoyen avait réclamé l'ouverture d'une faculté de Médecine à Sidi Bouzid. Là aussi, une désolante hilarité générale. Bref, il y avait de quoi jeter de l'huile sur le brasier rougeoyant des sentiments d'indignation des habitants de la région. Et pour cause : Sidi Bouzid est l'une des régions les plus défavorisées du pays. Ses valeureux habitants supportent, au fil des décennies, toutes les affres de la marginalisation, de l'exclusion et de la paupérisation soutenue. Leur révolte a bien initié, dès le 17 décembre 2010, une révolution à dimension planétaire. Le monde entier s'est fait l'écho de la Révolution de la liberté et de la dignité, avec la haute symbolique de Mohamed Bouazizi s'immolant par le feu. Aux lendemains immédiats de la Révolution du 14 janvier 2011, tous les espoirs ont été autorisés. Légitimement. Mais aussi, beaucoup de déceptions s'accumulent depuis. A défaut de réalisations concrètes à même de juguler le chômage, revaloriser les conditions de vie, réinsérer les habitants dans le socle du dynamisme socioéconomique et de la modernité. A Sidi Bouzid, les états d'âme des citoyens, des plus jeunes en prime, s'apparentent à des montagnes de ressentiment et d'amertume. Et c'est on ne peut plus légitime. Même si cela ne justifie pas toujours certaines actions et réactions qui s'ensuivent. Et, il appartient aux ministres de redonner espoir et tempérer les ardeurs. Non point de vendre du vent, mais de mettre en branle les ressorts de la réinsertion, du développement et du progrès. Visiblement, M. Moncef Ben Salem a gaffé. Il n'en est d'ailleurs pas à son premier écart en la matière. Nombre de ses déclarations ont déjà suscité des controverses. Et il gagnerait à recadrer davantage ses propos. Ou se mettre au média training. Autrement, il risque de s'enfoncer davantage dans une espèce d'impunité verbale. Avec toutes les conséquences imprévisibles et perverses que cela suppose. Quelqu'un a dit un jour qu'il faudrait consentir beaucoup de sacrifices pour pardonner aux vieilles offenses. Les mots, eux aussi, relèvent parfois de l'offense.