Par Hédi KONZALI Si durant les huit premiers mois de l'année 2011, l'inflation en Tunisie a connu une évolution modérée ; à l'inverse, elle a enregistré à partir du mois de septembre une montée continue, tendance qui s'est poursuivie durant les deux premiers mois de l'année en cours. L'accroissement de l'indice général des prix à la consommation familiale est passé de 3,6% en glissement annuel, en août dernier, à 5,7% en février 2012. Quant au taux moyen d'inflation, il s'est situé à 5,4% à fin février contre 3,2% au cours de la même période de l'an 2011 et 3,5% pour l'ensemble de cette année. En fait, la révolution tunisienne de la liberté et de la dignité de janvier 2011 s'est transformée rapidement en des revendications politiques et sociales et, partant, des manifestations, des grèves, des sit-in et la fermeture de plusieurs usines, ce qui, abouti notamment à : – une forte contraction de la production et des investissements, – une récession de l'activité économique et un net accroissement du chômage, – une insuffisance de la production des produits alimentaires, essentiellement les produits de première nécessité, pour satisfaire aussi bien la demande locale, en forte progression après l'accroissement des salaires, que les exportations accrues vers la Libye, surtout à partir du mois de septembre 2011, date de la fin de la guerre dans ce pays. – une perturbation de l'approvisionnement des marchés en raison des circuits de distribution devenus désorientés, conjuguée à la quasi-absence du contrôle économique. Cette situation s'est aggravée par l'accroissement des coûts d'importation des produits de base, surtout l'énergie, en raison du niveau élevé des prix sur le marché international, et de la dépréciation du dinar face à l'euro. Dans ce contexte, la nette accélération du rythme d'inflation est imputable presque totalement aux produits libres (7,6% en glissement annuel en février 2012 contre 5,9% en décembre 2011 et 5,6% en septembre), avec une contribution d'environ 94% à l'accroissement de l'indice général des prix. En particulier, la hausse sensible provient des prix des produits alimentaires libres (10,1% en février contre 6,8% en décembre 2011) et, plus spécialement, les produits agricoles (12,9% contre 7,7 %). D'ailleurs, les produits alimentaires libres, qui représentent 26,4% de l'indice général, ont participé en février 2012 à raison de 2,7 points de pourcentage ou 47,4% de la hausse des prix contre 1,8 point et environ 40% en novembre dernier. Outre les produits alimentaires, les autres postes de dépenses des produits libres ont contribué, également mais à des degrés divers, à l'accélération de l'inflation. A l'inverse, les produits non libres ou encadrés ont enregistré une quasi – stagnation en 2011 (0,6% en glissement annuel en décembre), en raison de la baisse décidée par le gouvernement, en janvier 2011, des prix de certains produits alimentaires subventionnés, de l'absence d'ajustement des prix des autres produits compensés et de l'accroissement sensible des dépenses de subvention des produits alimentaires. D'ailleurs, les charges de la Caisse générale de compensation desdits produits ont atteint, en2011, environ 1.400 MD contre près de 584 MD en 2010. Sur un autre plan, et en dépit des mesures prises par le gouvernement au cours du mois de février dernier, en accord avec les producteurs et les dirigeants des grandes surfaces de distribution et visant la maîtrise des prix de certains produits agricoles, les prix n'ont pas connu une baisse significative malgré le renforcement des opérations du contrôle économique. A notre avis, la tendance d'accélération des prix, surtout des produits libres, se poursuivrait au cours des mois prochains, en raison de la baisse attendue de la production agricole suite aux mauvaises conditions climatiques, principalement les dernières inondations ayant submergé des milliers d'hectares agricoles, notamment ceux des légumes de saison et des grandes cultures. La contraction de la production agricole s'explique également par la fuite de milliers de travailleurs du secteur de l'agriculture et de la pêche à la recherche des postes d'emploi stables et plus sécurisés. De même, les autres facteurs ayant contribué à l'accélération du rythme d'inflation persistent encore, à savoir le niveau toujours élevé des prix des produits de base sur le marché international, quoiqu'en légère baisse par rapport à la même période de l'an passé, la poursuite de la dépréciation du dinar face aux principales devises, outre l'accroissement sensible de la spéculation et de la consommation. Pour leur part, les prix des produits encadrés connaîtraient une hausse par rapport à l'année écoulée en raison de l'ajustement attendu des prix des produits subventionnés, en particulier les carburants. Aussi, la maîtrise des prix à la consommation nécessite l'intervention de toutes les parties et chacune en ce qui la concerne, à savoir les producteurs (augmentation de la production), les distributeurs et les commerçants (réduction de leurs marges bénéficiaires), les autorités (baisse des prix des semences, des engrais et de l'eau d'irrigation, renforcement du contrôle, régulation du marché) et les consommateurs (renonciation aux achats des produits dont les prix sont trop élevés par rapport à la normale). En fait, chacune de ces parties doit faire l'effort nécessaire en vue de dépasser cette situation économique qui serait presque plus difficile que celle de l'an passé. En fait, le niveau actuel de l'inflation ne peut se traduire que par la poursuite de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, qui ne pourront que réclamer une nouvelle augmentation salariale, ainsi que de la détérioration de la compétitivité de l'économie nationale face aux pays concurrents et partenaires compte tenu du creusement de l'écart d'inflation avec ces pays, surtout la zone euro, qui a connu, à l'inverse de la Tunisie, un repli du niveau d'inflation (2,6% en glissement annuel en janvier 2012 contre 2,7% en décembre et 3% en octobre). Cela dit, en dépit de la hausse sensible des prix de presque l'ensemble des postes des dépenses depuis les derniers mois 2011 et des ajustements prevus des prix des produits compensés, le budget économique pour la gestion de l'année 2012 table sur un taux moyen d'inflation ne dépassant pas 3,6%, soit presque le même taux enregistré un an auparavant.