Par Soufiane BEN FARHAT Avant même d'entrer dans le vif du débat, la discorde sur le processus de la justice transitionnelle bat déjà son plein. Deux donnes en témoignent. D'un côté, la Coordination de la justice transitionnelle a critiqué il y a deux jours l'appel de la commission de confiscation sur la déclaration des biens mal acquis. A en croire la Coordination, l'appel lancé le 5 mai par la commission de confiscation des biens mal acquis «traduit un manque de considération pour les pouvoirs publics, notamment le pouvoir judiciaire». La Coordination précise que «cette démarche vise à dissimuler les crimes commis contre le peuple et représente une violation flagrante du droit pénal». La démarche serait coupable de prétendre s'approprier les mécanismes de la justice transitionnelle. La commission est même accusée d'avoir dépassé les prérogatives fixées par le décret-loi N°13 en date de 2011. La Coordination de la justice transitionnelle dénonce par ailleurs «l'inaction des ministres de la Justice, des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle concernant les dépassements commis par la commission de confiscation» qui cherche à conclure «un accord de réconciliation secret» pour empêcher le peuple et les autorités publiques de connaître la vérité et de permettre des transactions non transparentes. D'un autre côté, un bras de fer sournois semble s'être installé entre deux pôles opposés. En premier lieu, les tenants de la justice transitionnelle complètement dépendante des instances civiles. En face, les partisans d'une justice transitionnelle mixte, voire étatisée. La nouveauté tient à l'exacerbation d'un différend jusqu'ici éludé. En effet, on escomptait le télescopage sans en déceler les véritables prémices. Celles-ci ont commencé à pointer sur l'épineux dossier des martyrs et des blessés de la Révolution. Des déclarations péremptoires et à l'emporte-pièce ont envenimé les échanges avant même l'ouverture des discussions. Ainsi, M. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, a-t-il parlé de bandits, coupe-jarrets et autres soûlards grimés en martyrs ou en blessés de la Révolution. Cela avait suscité de vives émotions, en raison notamment des amalgames et conclusions hâtives que de tels propos suscitent. Puis vinrent d'autres affaires comme autant de pommes de discorde. Ainsi en est-il de la Commission d'enquête, dite Commission Bouderbala, qui a soigneusement évité de parler de martyrs et de victimes pour désigner les seuls «morts». De son côté, M. Noureddine Hached, président de la Haute instance pour les droits de l'Homme, a présenté sa démission il y a deux jours. Selon certaines informations, M. Hached, fils de l'illustre martyr Farhat Hached, aurait agi en raison du peu d'entrain gouvernemental à l'égard du dossier des martyrs de la Révolution. Il est utile de savoir qu'en vertu de la loi, seule la Haute instance pour les droits de l'Homme est habilitée à fixer la liste des martyrs de la Révolution. Avec ses premiers couacs, la justice transitionnelle trébuche avant même d'entrer en lice. C'est symptomatique de l'état des choses. La clarification — voire la rectification du tir — s'impose. Autrement, ce qui commence dans l'équivoque finira dans la compromission. En fait, la question des concepts importe beaucoup. Les définitions sont par vocation consensuelles. Autrement, c'est le dialogue de sourds.