L'agence de notation Standard and Poor's a annoncé, mercredi, avoir abaissé de deux crans la note de la dette à long terme de la Tunisie à BB, reléguant ainsi le pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs. Pour M. Moez Laâbidi, universitaire et membre du Conseil d'administration de la BCT, cette décision est importante. Et il ne s'agit là nullement d'un pléonasme : une dégradation de la note de deux crans qui fait basculer la Tunisie de l'«investissment grade» au « speculative grade ». Ce n'est pas mince. M.Laâbidi nuance cependant d'emblée le « verdict » de Standard & Poor's. Interrogé sur les raisons qui ont amené SP à dégrader la note souveraine de la Tunisie, M.Laâbidi cite en premier lieu le manque de visibilité politique : le retard pris notamment dans la rédaction de la Constitution et le flou qui règne encore autour de la date des prochaines élections. A ces raisons d'ordre politique, viennent s'ajouter des facteurs d'ordre économique et social. Inflation et spirale haussière Au niveau macroéconomique, M.Laâbidi estime que parmi ces facteurs se trouve « le doute sur la capacité du gouvernement à stopper le creusement du déficit courant ». Pour les quatre premiers mois de l'année en cours, le déficit courant est de 3%. A ce rythme, dit-il, on peut dépasser les 12% à la fin de l'année ! Ce déficit s'explique à la fois par la crise en zone euro et par la dégradation du climat social à l'échelle nationale qui a une incidence directe sur les entreprises exportatrices...Il y a aussi, ajoute-il, et d'une manière générale, une certaine perception d'un « blocage au niveau des réformes ». Quand, par ailleurs ( ou de surcroît) le taux d'inflation est à 5,7%, il faudrait, semble-il insister, craindre les effets de second tour de l'inflation. Jusqu'ici, la hausse des prix a pour ainsi dire épargné le secteur manufacturier, mais cela ne pourrait plus être le cas dans la mesure où les chefs d'entreprise vont vouloir ou devoir répercuter une éventuelle hausse des salaires sur les prix. Il est alors sérieusement à craindre que le pays soit confronté à la spirale hausse des salaires / hausse des prix. Pour M.Laâbidi, «la fragilité du secteur bancaire», la faiblesse de l'épargne et un marché obligataire qui n'est pas dynamique sont parmi les raisons, et non des moindre, qui expliquent la dégradation de la note souveraine de la Tunisie. Rappelons à cet égard que la BCT a déjà, au mois d'avril dernier, relevé une baisse des dépôts à terme et une augmentation des crédits non performants, ce qui a engendré des pressions sur la liquidité des banques et, partant, sur leur capacité à financer l'économie. Relativiser l'impact et la portée de la dégradation Quant aux conséquences de cette dégradation, et franchement en porte-à-faux avec tous les professionnels de l'alarmisme, M. Laâbidi, tient avant tout à relativiser à la fois la décision de Standard & Poor's et son impact sur les bailleurs de fonds internationaux dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale de la Tunisie. Nonobstant la crédibilité et la pertinence, qui restent somme toute relatives, des agences internationales de notation, il est évident, dit-il en substance , que la prime de risque va augmenter et que le pouvoir de négociation de la Tunisie va être affecté, mais il ne faudrait pas croire que les bailleurs de fonds, du moins certains d'entre eux, sont particulièrement sensibles aux appréciations des agences de notation. Quant aux IDE, seuls les nouveaux pourraient être hésitants à venir investir en Tunisie. Reste le mot de la fin et qui est encore bien plus significatif et bien porteur de sens : «Il faudrait considérer la dégradation de la note souveraine de la Tunisie comme une normalisation», lâche avec beaucoup de sérénité M.Laâbidi. Nous y reviendrons.