Le directeur général de l'Office national du tourisme tunisien, Habib Ammar, est quelqu'un qui ne caresse pas dans le sens du poil. En dépit des signes de reprise qu'affiche le secteur, Habib Ammar est loin de se suffire de ces performances. Selon, le DG de l'Ontt, un grand travail reste à faire car l'évolution du secteur ne peut cacher ses difficultés structurelles. Interview. Quel est le bilan de ces cinq premiers mois de l'année 2012 ? On peut affirmer que les indicateurs sont au vert. Au lendemain de la Révolution, nos parts de marché ont fondu littéralement. Dès lors, notre plan de travail était de résorber le déficit enregistré et de retrouver les performances de l'année 2010 et essayer même de les dépasser. A ce jour, les réalisations du secteur montrent que nous sommes bien sur la voie de la reprise escomptée. Ainsi, au niveau des recettes, nous avons enregistré une croissance de 35% par rapport à 2011. Ce qui fait que l'écart négatif par rapport à 2010, se situe désormais à -8%. Autrement dit, nous avons pu récupérer plus des trois quarts d'une chute des recettes qui était de -45% à la même période de l'année 2011. De même pour les nuitées globales, qui ont connu une évolution notable avec plus de cinq millions de nuitées portant ainsi le taux d'occupation à 26,5%. Pour ce qui est des entrées nous avons également enregistré une augmentation de 48% par rapport à la même période de l'année 2011. Ainsi l'on peut se féliciter d'avoir su compenser les trois quarts de la baisse accusée en 2011. Autres paramètres du succès : les Européens ont augmenté de 50,8% par rapport à 2011 et les Maghrébins ont augmenté de 89,1%. Ce qui nous donne une baisse de 28% par rapport à 2010 pour les Européens et presque aucune baisse pour le marché maghrébin (-0,1%). La veille de la haute saison, peut-on espérer une bonne saison ? On a de très bonnes prévisions pour le marché russe. On s'attend à 230 mille clients, soit une croissance de 55% par rapport à 2011 et une augmentation de 35% par rapport à 2010. Ce sera un record pour ce marché, pour lequel l'Ontt a triplé le budget. Le marché allemand aussi reprend des couleurs avec un écart positif de 25% par rapport à 2011. Nos prévisions sont de clôturer l'année 2012 avec 352.000 clients. Certes, il reste beaucoup de travail à faire pour pallier l'écart négatif de 10% par rapport à l'année 2010. Le marché anglais reprendra de sa superbe avec 354 mille clients attendus ce qui nous donnera une croissance de 23% par rapport à l'année 2011. Il n'empêche, c'est le marché français qui nous donne du fil à retordre cette année pour deux raisons principales. D'abord 2012 est une année électorale (présidentielle et législative) ce qui a impacté négativement le booking habituel. Ensuite, le changement du comportement d'achat des Français est désormais un fait incontestable. En effet, le early booking est en train de laisser place au last minute, ce qui fait que le comportement de la production au niveau de ce marché devient imprévisible. Force serait cependant de reconnaître que l'Italie et l'Espagne sont deux marchés qui posent problème, avec des baisses chroniques de l'ordre de 70%. Ces marchés qui sont « malades » depuis quelques années sont des marchés sur lesquels il est difficile de faire des prévisions fiables. Quant au marché algérien, il confirme son regain d'intérêt pour la destination avec plus de 700 mille clients prévus à la fin de l'année 2012. Pour sa part, le marché libyen se positionnera en haut de l'échelle avec deux millions de visiteurs, soit une augmentation de 40% par rapport à 2010. Toutes ces réalisations et ces prévisions sont le fruit d'un plan d'action bien élaboré ? En effet, avec une large médiatisation de la révolution tunisienne qui continue à crever les écrans des chaînes satellitaires à chaque fois qu'une nouvelle rue arabe se soulève, créant ainsi une grande confusion dans l'esprit des consommateurs européens qui pensent à tort que la Tunisie fait partie de cette zone rouge, et renforçant ainsi une fausse image de chaos et d'incertitude, notre plus grand souci était, dès lors, de rétablir la confiance des partenaires étrangers afin de reprendre l'activité du secteur, à travers des campagnes publicitaires et promotionnelles intensives (Eductours, salons, etc.) A cet effet, notre première réaction a été d'inviter le maximum de journalistes et de tour-opérateurs. La deuxième action fut le lancement d'une campagne de publicité institutionnelle, sur laquelle je n'étais pas d'accord quant au timing. Elle a quand même permis de faire parler de la destination. Il est à noter dans ce cadre que pour la première fois des spots publicitaires sur la Tunisie sont passés à la télé (TF1, M6, Canal+ ). Cette année ce sont les chaînes Euronews, France 24 et Eurosport qui ont été programmées. Un plus grand soutien à la publicité conjointe a aussi permis à nos partenaires de mieux vendre la Tunisie. Cela dit, la décision de soutenir l'aérien pendant la basse saison a été un élément fondamental pour le maintien de la programmation de la destination. C'est que le partage de risque, de 60 à 80% des sièges vides, a permis de booster la destination et de récupérer quelques milliers de touristes qui ne seraient pas venus s'il n'y avait pas eu cette mesure de soutien. Pouvez-vous nous citer quelques actions promotionnelles menées à cet effet? Je peux citer l'organisation du congrès de AS Voyage (650 personnes dont 25 journalistes). L'invitation de 100 TO et 50 journalistes au mois de février dernier. Ou encore l'organisation de conférences de presse en amont des salons (Fitur avec 34 journalistes et l'ITB avec 17 journalistes, Algérie 30 journalistes, Pologne 7 journalistes). A cela s'ajoutent les actions d'entretien des principaux marchés émetteurs, la participation aux grands salons : Top Résa à Paris, ITB à Berlin, Mitt à Moscou, WTM à Londres. Par ailleurs un accent particulier a été mis sur les salons thématiques tels que Meedex, Thermalies, salon du golf, Igtm. Toujours à l'étranger, nous organisons la journée tunisienne à Lyon, nous participons également au festival de la gastronomie régionale à Paris et aux Jeux olympiques de Londres. En Tunisie, nous avons soutenu l'animation culturelle tels que le festival des Ksours à Tataouine, la manifestation Jazz à Carthage et l'inauguration du Musée du Bardo. D'autres suivront, en l'occurrence du festival de bridge (juin 2012), Festival du Jazz à Tabarka (juillet 2012), festival de Musique et Silence (octobre 2012), festival de Douz( décembre 2012) et le festival de Tozeur( décembre 2012). Nous avons aussi renforcé notre soutien aux manifestations sportives comme l'Open Tennis ou le Rallye de Tunisie. Certaines voix critiquent l'absence de mesures structurelles dans votre feuille de route ? C'est une première ébauche d'une feuille de route de mesures urgentes, compatible avec la période de transition que connaît le pays et susceptible de soutenir un tourisme tunisien qui est à la recherche d'un nouveau souffle et qui semble déterminé à jouer une nouvelle partition. Mais l'envol du tourisme fait face à des défis majeurs depuis quelques décennies et a vu sa clientèle touristique fondre littéralement et chutant ainsi à des seuils inacceptables. Cette situation a conduit à un nombre très faible de produits offerts, à la concentration sur le tourisme balnéaire, à des possibilités de promotion et de commercialisation très réduites, à la dégradation de la qualité du service offert et à la faiblesse de la rentabilité et de la compétitivité de plusieurs établissements hôteliers. On a donc besoin qu'on œuvre d'une manière sérieuse et rapide à résoudre les problèmes structurels du secteur à travers un plan de mesures tels que préconisé dans le résultat de l'étude stratégique sur laquelle tout le monde est d'accord. Il s'agit entre autres d'accorder la priorité absolue à l'épineuse question de l'endettement, de la diversification du produit, au problème du transport aérien, à la formation et à la prospection de nouveaux marchés émetteurs. Il s'agit également d'encourager le tourisme intérieur et d'exploiter les richesses culturelles du pays. Bien que cette feuille de route nécessite l'approbation de l'ANC, l'administration du tourisme n'a pas croisé les bras. Ceci dit certains volets du plan d'action préconisé ont déjà été entamés pour ne pas perdre du temps. Il s'agit du soutien à l'aérien, de la révision des normes de l'hébergement alternatif. Ainsi, dès l'année prochaine, la communication nationale sera confiée à une seule boîte de communication. Nous sommes en train aussi de procéder à l'amélioration des conditions d'accueil des Algériens à Babouche et à Melloula. Il s'agit également de faciliter et de réduire les délais d'attente. On est aussi en train de travailler sur un autre point fondamental à savoir la révision du Code de l'investissement touristique. Il faut reconnaître que dès qu'il s'agit d'un projet touristique hors zones, c'est la croix et la bannière. Or, nous avons besoin de plus de projets. Toute la Tunisie devrait être considérée comme zone touristique. Par exemple, à Tozeur, nous avons un projet avec la Jaïca pour la valorisation du patrimoine ainsi que pour un renouveau du festival de Douz. Car, nous croyons fermement que l'animation touristique est notre perche du salut en termes d'augmentation des recettes. C'est le seul moyen pour améliorer la rentabilité du secteur par les dépenses dans des activités extra-hôtelières. Le shopping dans nos souks est très faible étant donné la décrépitude de notre artisanat et l'envahissement des produits contrefaits. On ne peut, la veille de la haute saison, esquiver la récurrente question du tourisme intérieur ? On n'aura jamais un secteur touristique fort si on ne développe pas le tourisme intérieur. Le tourisme est un secteur soumis aux aléas de la conjoncture nationale et internationale et le marché intérieur peut être d'un grand appui lors des moments critiques. Notre tourisme est tourné à 100% vers l'international et dépend de ce fait totalement des marchés étrangers. Le poids économique du tourisme intérieur, compte tenu de son rôle dans l'impulsion du secteur du tourisme et l'amélioration de sa compétitivité, n'est plus à démontrer. Dans les grandes destinations touristiques, telles que la France, l'Italie, l'Espagne ou les USA, le marché local représente parfois plus de 40%. Dans ces pays, il constitue un régulateur et un stabilisateur de l'activité touristique. Sous cet angle, le tourisme intérieur est conçu non seulement comme un choix stratégique pour l'administration du tourisme mais aussi un créneau rentable pour les opérateurs du secteur. Le diagnostic a fait démontrer que les principaux problèmes auxquels sont confrontés les nationaux se rapportent essentiellement aux difficultés de trouver des lits disponibles pendant la haute saison, à la cherté des prix appliqués aux nationaux et au manque d'animation adaptée à cette clientèle. A mon avis, quelle que soit la politique tarifaire proposée aux Tunisiens, notre produit dans l'état actuel des choses demeure inabordable et loin de leurs bourses. Il s'agit plutôt de favoriser la création de résidences touristiques appropriées qui permettent une occupation familiale élargie à laquelle les Tunisiens sont habitués. Ceci nécessite une révision des plans d'aménagement ou encore la création d'agences de voyages spécialisées sur les trois marchés similaires, à savoir le marché local, le marché algérien et le marché libyen. Et le tourisme arabe ? Il n'apparaît pas dans le radar de l'office ? La région du Golfe est un formidable pourvoyeur de touristes même si la Tunisie reçoit un peu moins de 30.000 touristes par an, là où la Malaisie réalise 6 millions de touristes. Le potentiel émetteur dans cette région est pourtant impressionnant avec plus de 13 millions de départs par an. L'offre tunisienne destinée à ce type de tourisme est aujourd'hui inadaptée aux attentes de cette clientèle, notamment en ce qui concerne le tourisme familial et le tourisme résidentiel et souffre d'un manque cruel de modes d'hébergement adaptée à cette clientèle en l'occurrence des villas individuelles, des appart-hôtels et des résidences indépendantes. On a un très fort potentiel de développement sur ce créneau. Ce tourisme de famille, pour trouver ses marques en Tunisie, exige de l'adaptation telles que des zones propres (Tabarka est un excellent site pour ce genre de tourisme), de grands Mall pour le shopping, la présence des grandes de mode, des casinos, des voitures de luxe etc. L'environnement touristique physique et humain pose toujours problème? Toutes les enquêtes de satisfaction ont montré du doigt le manque de propreté aux abords des zones touristiques. C'est un environnement approximatif. Il n'empêche, les agences de voyage et les hôteliers contribuent dans un fonds dédié à venir en appoint aux municipalités. Avec le temps, les rôles ont été inversés et c'est devenu la règle. C'est une aberration de consacrer 800 mille dinars à la propreté alors que c'est la mission des municipalités. Cette année, on a fait l'exception de reconduire le même budget pour aider des municipalités avec zéro moyen. Mais la situation ne peut plus durer. On a besoin de ces fonds pour la promotion. Concernant l'environnement humain, je dis que le tourisme est l'affaire de tous les Tunisiens. C'est en instaurant une telle culture que nous pourrons nous attaquer au fond du problème et assainir le secteur des pratiques frauduleuses et immorales. Que dites-vous des salafistes, alors ? A ce propos je dirais que la relance de l'activité touristique dépendra fondamentalement de notre image sur la scène internationale et sur les conditions de sérénité et de stabilité en Tunisie. Dans ce cadre il est primordial que chaque citoyen , quelque soient ses convictions agisse pour favoriser les meilleures conditions d'accueil, d'hospitalité et de sérénité pour les hôtes de la Tunisie. Voila pourquoi j'insiste sur le fait que la réussite de la saison touristique est de la responsabilité de chaque citoyen et non pas seulement du Ministère du tourisme ou de l'administration. Tous les tunisiens doivent se considérer des acteurs touristiques.