Le trac de la route, la peur d'arriver en retard, c'est ce que nous ressentons à chaque fois que nous nous déplaçons pour un festival. Avant-hier, pour aller à l'ouverture du Festhéâtre de Dougga, c'était pareil, mais avec en plus, le doute de trouver du public sur les lieux. Qui prendrait la peine de faire tous ces kilomètres et tous ces chemins sinueux qui mènent jusqu'au site archéologique romain? Y a-t-il encore des festivaliers qui échappent au syndrome « Rotana »? D'autant plus qu'au programme du Festhéâtre, il n'y a que des reprises. Et cet habitant de la région qui sirotait un café au bord de la route et qui nous avait indiqué le chemin, il nous avait bien dit qu'on ne trouverait pas un chat à cette heure du soir. Son propos est vite démenti à la vue du premier bus, puis du deuxième et de l'une de ces voitures de police d'intervention rapide. L'association «Kolona Tounès », initiatrice de ce festival, n'a pas l'air de prendre son projet à la légère. Surtout qu'à sa tête, il y a une femme, Emna M'nif, qui a autant de force, d'intelligence que de douceur, et qui a su, apparemment, s'entourer d'une bonne équipe. Arrivés au théâtre antique, nous avons tout de suite senti une énergie très positive. La pièce avait déjà commencé, et le public était là attentif, et réagissait bien à ce spectacle créé au Centre des arts dramatiques et scèniques du Kef. Reprise ou pas, «H'lel et Nejma» valait la peine d'être revue dans ce théâtre impressionnant qui vous plonge hors du temps. La pièce évoque la résistance tunisienne à l'époque de la colonisation, mais elle a un sens dans la réalité d'aujourd'hui. La scène est presque nue, et les colonnes majestueuses en disent long sur une histoire, avec un grand «H» qui se répète. Les acteurs, bien qu'ils soient tout en nerfs dans leur façon de jouer, semblent être à l'aise parmi ces pierres aux empreintes du passé. Nous nous en voulons d'être arrivés en retard et de ne pas avoir été là avant les trois coups du brigadier. Car l'association avait organisé, pour l'aprés-midi, un avant-programme de visite guidée sur les lieux avec l'historien Abdessatar Amamou, de performances et de dégustation de mets traditionnels de la région. L'acteur Jamil Joudi a lu un chapitre d'Antigone, la célèbre pièce de Sophocle, suivi par un autre comédien d'une autre génération, Jamel Madani. Ce dernier, par devoir de mémoire, a nommé tous les acteurs et actrices qui sont passés sur la scène de Dougga. Cela devait être à l'époque où les directeurs de festivals étaient inspirés et où chaque manifestation estivale avait sa spécificité. Un fidèle de la « haute culture», que nous avions retrouvé à la fin du spectacle kéfois, nous a d'ailleurs fait part de ses souvenirs d'étudiant. Il s'est rappelé avoir vu une pièce de la Comédie française sur cette même scène de Dougga. Et dire que cela fait un bon bout de temps que ce théâtre n'est fréquenté que par les touristes. Pourquoi a-t-il fallu qu'une association indépendante fasse le pas? Qu'elle redonne son charme à la scène et aux gradins, qu'elle accorde plus d'espace et de visibilité à l'art majeur et qu'elle se coupe en quatre pour dire que l'on doit faire preuve de créativité surtout en cette période de post-révolution? D'ailleurs, au programme du Festhéâtre, on a également prévu une rencontre de réflexion autour de cette problématique des festivals qui ne suivent pas l'évolution du pays. A la sortie du théâtre, des jeunes hommes en tee-shirts sur lesquels s'est écrit «Kolona tounès » nous ont offert du pain «tabouna». Encore un geste qui a du sens et qui nous dit que le Festhéâtre qui se déroule du 12 au 15 de ce mois est un essai qui donne l'appétit de la confirmation.