Par Abdelhamid Gmati Les nouveaux démocrates doivent être satisfaits : un autre dirigeant d'un média tunisien se trouve sous les verrous. Une autre voix discordante intimidée et mise en sourdine. Les médias subissent depuis des mois toutes sortes d'attaques, d'accusations, d'intimidations, de pressions de la part des islamistes fortement opposés à tout ce qui ne leur est pas assujetti. Même le président de la République, pourtant un allié, suscite leur courroux dès lors qu'il tient des propos discordants. Les nominations arbitraires de dirigeants dans les médias entraînant des oppositions, voire des refus de la part des journalistes et des représentants des médias, on passe à d'autres méthodes. - D'abord les accusations et les intimidations. Les médias seraient la cause de tous les maux du pays, tous gauchistes ou contre-révolutionnaires, ou résidus de l'ancien RCD, ou corrompus, coupables de malversations. Et on brandit périodiquement la menace de publier une liste noire des journalistes corrompus et agents de la dictature. On a même fait filtrer une liste de médias ayant été rétribués par l'Atce. Ce ballon de baudruche ayant fait flop, car il s'agissait de paiement de publicités gouvernementales, une liste noire de journalistes paraît sur la page Facebook du ministre conseiller du Premier ministre ; cette liste arbitraire ne citant que les médias et les journalistes mal aimés, le conseiller recule et affirme que sa page a été piratée. - Puis, on fait appel à la justice. Premier grand coup : on fait arrêter le directeur de la chaîne Ettounsia, poursuivi dans une affaire impliquant la télé tunisienne et sa société de production Cactus. Depuis une année et demie, il a comparu à plusieurs reprises devant les tribunaux, subissant interrogatoires et contre-interrogatoires et toujours laissé en liberté. Aucun jugement jusque-là. Alors, pourquoi cette arrestation subite ? Pour n'avoir pas obtempéré aux diktats du conseiller évoqué. Et cette référence à la justice semble devenir la nouvelle mode. Le leader du mouvement Ennahdha a annoncé qu'il allait porter plainte contre le journal britannique The Independant et le journaliste Robert Fisk, pour avoir publié une information concernant une aide de 150 millions de dollars qu'il aurait reçu de l'émir du Qatar pour financer la campagne électorale d'Ennahdha. De son côté le Syndicat des journalistes tunisiens va porter plainte contre Lotfi Zitoun pour ses déclarations où il accuse le syndicat de jouer le rôle de l'opposition et de fermer les yeux sur les journalistes corrompus. Le même Lotfi Zitoun va faire l'objet d'une plainte de la part du journal électronique Business News, pour «diffamation, humiliation et pour incitation à la violence». - Autre méthode : faire appel à la rue. Ce procédé a été utilisé plusieurs fois, notamment par le mouvement Ennahdha qui envoie quelques dizaines de ses militants pour perturber, agresser ou interdire des réunions d'autres partis ou des spectacles mal aimés. La toute récente est bien particulière : voici qu'un ministre conseiller, toujours le même, appelle à une manifestation de soutien au gouvernement. Manifestation non autorisée par le ministère de l'Intérieur, mais qui se tient quand même sous la protection des forces de l'ordre. Explication : «Il ne s'agit pas d'une manifestation, mais d'une prière collective». Le conseiller, en présence d'autres membres du gouvernement et de responsables d'Ennahdha, a exhorté ses partisans à soutenir le gouvernement dans sa stratégie de réforme et de lutte contre la corruption. Il a été également question, notamment dans les banderoles, de dénoncer et de s'en prendre à une certaine opposition, partis et médias. Un meeting politique sous couvert de religion. L'imam a, du reste, été explicite appelant les médias «à craindre Dieu », invitant le gouvernement à accélérer les procédures de jugement des personnes et responsables «corrompus» et demandant au peuple à soutenir le gouvernement. Sous-entendu : le peuple ne soutient pas le gouvernement d'où cette manifestation «gouvernement versus peuple». Du jamais vu. En définitive, l'on est en droit de se demander : «Pourquoi cette gesticulation ?» Tout simplement pour faire oublier les vrais problèmes et parce que le gouvernement, et les islamistes, ne supportent pas la critique ; d'où qu'elle vienne. Pour eux, la meilleure télévision, le meilleur média, le journaliste idéal, le meilleur opposant, le meilleur peuple, sont ceux qui appliquent la devise : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Sauf ce qu'on leur dicte.