Ce sont les oubliés du monde. Les foules galvanisées qui partent à l'assaut des ambassades dans les pays musulmans à cause de tel film médiocre ou de telle insulte proférée contre la personne du Prophète sont peut-être les derniers à s'émouvoir de la situation de ces gens qui sont pourtant, comme eux, des musulmans. L'ONU, qu'on ne soupçonnera pas de complaisance dans ses jugements, déclare pourtant à leur sujet qu'ils représentent la minorité la plus persécutée au monde à l'heure actuelle... Eux, ce sont les Rohingya : ils vivent dans l'ouest de la Birmanie. Beaucoup d'entre eux ont fui en direction du Bengladesh voisin, où ils sont installés dans des camps qui sont des hauts lieux de la pauvreté sur cette planète. D'autres sont massés au niveau des régions frontalières, sans pouvoir partir car les frontières se sont refermées devant eux et les empêchent désormais de passer. La brise de liberté qui semble se mettre à souffler sur la Birmanie après de nombreuses années de dictature militaire va-t-elle mettre enfin un terme à cette situation ? La réponse est négative : la liberté d'expression, rapporte-t-on, a donné lieu au contraire à une vague de haine raciale contre cette même ethnie. Elle s'étale sur les colonnes des journaux au point que la censure a dû faire son retour. En Birmanie, la population est en majorité de tradition bouddhiste. Une religion qui, comme chacun sait, fait de la non-violence un de ses principes fondamentaux. On a vu les moines bouddhistes prendre part dans le passé aux mouvements de désobéissance civile et subir courageusement les coups impitoyables d'une police aux ordres de l'ancienne junte. Attitude noble et tellement méritante, illustrant selon toute apparence les préceptes de l'enseignement de Bouddha, mais qui nous fait pourtant nous demander pourquoi, dans ce pays précisément, l'acharnement contre une minorité religieuse ne se relâche pas... Pourquoi le Bouddhisme, malgré le contenu de sa doctrine, ne sert pas de recours contre la haine et le rejet de l'autre. Car c'est bien le cas : non seulement cette religion n'est pas ici un rempart face à la violence interreligieuse mais on a vu plus d'une fois des moines bouddhistes prendre part à des massacres. Or cela signifie que le drame est double : il y a le drame de ce peuple des Rohingya qui est livré à la haine et à la violence sans possibilité d'échappatoire et, d'un autre côté, il y a le drame de cette religion bouddhiste qui se donne à elle-même le spectacle de sa propre mutilation spirituelle, de sa propre négation au quotidien, sans pouvoir résister, semble-t-il, à cette pente infernale qui la défigure. Pendant toutes les années de dictature, la vie religieuse a été déstructurée en Birmanie. C'est une caractéristique que nous connaissons bien en ce qui concerne les dictatures, qu'elles ne tolèrent pas à leurs côtés une autorité distincte et autonome. Il s'ensuit que les temples sont désertés de ceux qui pourraient les gérer dans le respect des vrais préceptes. Les rites et les coutumes demeurent, mais la sagesse qui les soutient reflue et se cache. Il est certes normal que la vie religieuse ne retrouve pas ses anciens accords du seul fait et aussitôt que la main de fer de la dictature a cessé de peser sur le quotidien des hommes. Mais ce que l'on observe, c'est que les grimaces qu'elles ont contractées sous la loi de la dictature, les religions ne semblent pas vouloir s'en départir : elles y sont attachées. Et trouvent les moyens de les perpétuer, de façon parfois outrancière, meurtrière... Venir en aide aux populations musulmanes de Birmanie, comme le dicte l'urgence humanitaire, passe donc, également, par l'assistance apportée à la population bouddhiste de ce pays afin qu'elle se libère de cette pathologie contractée par leur propre religion et qu'elle renoue avec ce qui fait la vraie grandeur de cette dernière... Oui, les religions ont des maladies : nous en savons quelque chose. Et leur guérison relève d'un art : l'urgence sécuritaire ne dispense pas de faire preuve ici d'habileté.