Par Soufiane BEN FARHAT Brusquement, les hommes et femmes politiques donnent de la voix. On parle désormais volontiers de l'affaire de la jeune fille violée par deux agents de police. Pourtant, elle remonte à plus de trois semaines. C'est que, entre-temps, on a tenté de noyer le poisson. Le porte-parole du ministère de l'Intérieur avait estimé d'emblée que la jeune fille avait été appréhendée par les trois policiers dans une posture d'«atteinte à la pudeur». Cela avait nourri des commentaires acerbes dans les médias et provoqué l'ire de nombreuses personnalités politiques et associatives. N'empêche, dans un communiqué rendu public hier, le ministère de l'Intérieur essaie, encore une fois, de se justifier. Il précise bien qu'il a tenu à appliquer les dispositions légales dans de telles affaires. A l'en croire, «le ministère de l'Intérieur n'a tenté d'alléger ni d'alourdir la charge de qui que ce soit». Il a jugé impérieux de «ne pas tomber dans l'amalgame et d'éviter toute instrumentalisation politique et médiatique de cette affaire». Et de rappeler que trois agents suspects ont été arrêtés dans l'immédiat avant d'être traduits en justice pour le viol d'une fille de plus de 20 ans et l'extorsion de son ami. D'accord. Encore faut-il savoir que la jeune fille en question avait été convoquée avant-hier par un juge pour répondre des chefs d'inculpation d'atteinte à la pudeur et aux bonnes mœurs. Cela a généré le courroux d'une large partie de l'opinion. Les médias nationaux et étrangers y sont revenus, désapprouvant la transformation de la victime d'un viol aggravé en coupable d'atteinte aux bonnes mœurs. Et puis, il faut remonter aux faits. Une jeune fille, accompagnée de son ami, s'est rendue, le 4 septembre, au district de la sûreté nationale de Carthage. Elle a porté plainte pour viol sur sa personne par des agents relevant du district de la sûreté nationale aux Jardins de Carthage et pour extorsion de son ami, dans la nuit du 3 septembre 2012. La relation des faits n'est pas encore définitivement établie. Mais il semble bien qu'il y ait eu viol de la jeune fille à trois reprises en plus de menaces, de chantage et de délit qualifié d'extorsion d'argent à l'endroit de son ami. En somme, encore une fois, les calculs de boutiquiers l'emportent. La mauvaise communication de crise, doublée d'un dosage des propos officiels aux desseins non avoués, ont compliqué la donne. La victime se retrouve bien dans une posture navrante et inique de coupable. Pourrait-il en être autrement en l'occurrence ? Forcément lorsqu'on lui adresse des chefs d'inculpation en vertu du témoignage et du procès-verbal de ses propres violeurs et bourreaux. Soit un véritable non-sens, une construction juridique monstrueuse et un déni de justice avéré. Aujourd'hui, il faut reconnaître qu'on est dans une bien mauvaise passe. Des ministres se sont insurgés hier pour condamner le viol de la jeune fille. Mieux vaut tard que jamais. Mais le ministère de l'Intérieur semble avoir très mal ficelé le dossier. Notamment côté instruction préliminaire et communication sur l'affaire. Encore une fois, le gouvernement est éclaboussé. Les Tunisiens regardent. Avec un intérêt non feint. Que dis-je! Le monde entier regarde. Et dire que ces faits, leur qualification et l'étrange tournure qu'ils prennent surviennent en Tunisie. Pays réputé avant-gardiste en matière de droits de la femme, dans le monde arabo-musulman et ailleurs. Ecœurant !